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histoire de saint augustin.

études religieuses dans le tranquille asile de Cassiacum, aux environs de Milan. De quel intérêt eussent été pour nous les récits des graves causeries de ces vénérables personnages autour du maître dont la vie allait s’éteindre ! Quel chrme pieux et mélancolique dans la peinture de cet intérieur où tant de sainteté se réunissait à tant de gloire, où de longues existences remplies d’évangéliques vertus et de combats illustres, aboutissaient au spectacle de la dévastation de leur patrie ! Possidius nous apprend quelque chose de ce qui se passait dans la maison d’Augustin, et les moindres lignes de ce témoin deviennent ici d’un bien grand prix.

« Nous conversions souvent ensemble, dit-il, nous considérions les terribles jugements de Dieu placés devant nos yeux, et nous répétions avec le Psalmiste[1] : Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est droit. Tristes, gémissant, versant des larmes, nous implorions le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation, pour qu’il daignât nous soutenir dans cette tribulation. »

Possidius, continuant son récit, s’exprime en ces termes (qui oserait ne pas laisser parler ici un tel narrateur ?) : « Un jour que nous étions réunis tous ensemble à table, le saint nous dit : Vous savez que, durant ce désastre, j’ai demandé à Dieu ou qu’il daignât délivrer la ville d’Hippone assiégée par les ennemis, ou, s’il en avait jugé autrement, qu’il daignât donner de la force à ses serviteurs pour soutenir le poids de sa volonté, ou bien enfin qu’il daignât m’appeler de ce siècle vers lui. — Instruit des vœux du grand homme, nous et tous ceux des fidèles qui se trouvaient dans la ville, nous adressâmes la même prière au Dieu tout-puissant. Et voilà que, le troisième mois du siège, il se vit accablé par la fièvre. Sa dernière maladie venait de l’atteindre, et le Seigneur ne frustra point son serviteur du fruit de sa prière. »

L’évêque de Calame rapporte que des possédés furent délivrés par les oraisons du saint docteur, et qu’un malade fut guéri par l’imposition de ses mains. Celui-ci avait été averti en songe d’aller trouver l’homme de Dieu. Cette guérison est le seul miracle qu’Augustin ait opéré pendant sa vie.

Le saint évêque avait souvent dit à Possidius qu’un chrétien, même le plus digne de louanges, ne devait pas quitter ce monde sans se condamner à quelque acte de pénitence. Durant sa dernière maladie, il fit transcrire et placer contre le mur les Psaumes de la pénitence, qu’il lisait et relisait dans son lit en fondant en larmes. Pour prier et gémir sur lui-même avec plus de liberté, Augustin, dix jours avant sa mort, demanda à ses frères présents de vouloir bien le laisser seul dans sa chambre, et de ne permettre à personne d’y entrer, si ce n’est aux heures où les médecins le visitaient et où l’on apportait sa nourriture. On se conforma à son désir. Quand vint le dernier jour, Possidius et les autres évêques ou prêtres, disciples d’Augustin, environnèrent tristement et pieusement son lit ; ils unirent leurs prières à celles du grand homme mourant ; Augustin murmurait d’une voix attendrissante des oraisons mêlées de pleurs, et lorsque sa bouche cessa de prier, son âme avait reçu dans les cieux le prix de quarante-quatre ans de vertus et de travaux sublimes. Elle était en possession de l’ineffable et éternelle beauté dont les magnificences de l’univers ne sont, qu’une ombre grossière et vers laquelle montèrent si souvent les élans de ce tendre et profond génie.

Un écrivain d’Afrique, Victor de Vite[2], déplorait en ces termes la mort d’Augustin : « Ainsi s’arrêta ce fleuve d’éloquence qui se portait à travers tous les champs de l’Église ; ainsi la douceur se changea en amertume ; ainsi se retira la gloire des prêtres, le maître des docteurs, le refuge des pauvres, l’appui des veuves, le défenseur des orphelins, la lumière du monde ; ainsi se tut le grand annonceur de la divine parole ; ainsi tomba le courageux combattant qui, par le glaive de la doctrine et de la persécution, frappa l’hérésie, cette bête aux cent têtes ; ainsi mourut l’architecte insigne qui étaya la maison de Dieu, instruisit par les exemples de ses bonnes œuvres, et travailla par la puissance de son savoir ; ainsi se coucha ce grand soleil de la doctrine, se dessécha ce fleuve de piété, mourut le rare phénix de la sagesse, brûlé par le feu sacré de l’amour : ainsi fut transporté dans le ciel la perle des docteurs ! »

Saint Augustin mourut le 28 août 430, âgé de soixante-seize ans ; il avait passé quarante ans dans la cléricature ou l’épiscopat. Le saint sacrifice fut célébré pour le repos de son âme,

  1. Psaume CXVIII, verset 137.
  2. De la persécution vandalique, livre I.