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chapitre cinquante-quatrième.

L’évêque d’Hippone suit Julien de page en page, le laisse parler, et lui répond[1]. C’est comme une conversation entre Augustin et Julien ; le saint docteur ne supprime point les outrages dont il est l’objet : les outrages ne pouvaient monter jusqu’à sa gloire. Julien, dans ses huit livres, se répétait ; il n’apportait aucune idée, aucune objection nouvelle ; c’était les lieux communs du pélagianisme délayés en de longs discours. Augustin ne pouvait guère opposer aux mêmes attaques que les mêmes moyens de défense ; il n’y a rien de nouveau à répondre à un homme qui vous redit les mêmes choses assaisonnées seulement de plus de fiel et de colère. Il nous semble toutefois que le saint docteur fait toucher au doigt la vérité catholique avec une évidence particulière ; à force d’avoir remué ces questions, le grand évêque est parvenu à les inonder de lumières avec un mot, une observation, une pensée ; il est bref et précis comme un homme qui contemple le vrai face à face : on dirait qu’à mesure qu’il approche de la mort, les mystères se découvrent pleinement à son intelligence.

Julien appelait les catholiques du nom de traducéens et aussi du nom de manichéens ; nous n’avons pas besoin d’expliquer que le mot traducéen désignait celui qui croyait à la transmission du péché originel. L’évêque d’Hippone disait à Julien que lui, Augustin, et tous les catholiques étaient traducéens et manichéens comme saint Hilaire, saint Grégoire de Nazianze, saint Basile, saint Ambroise, saint Cyprien, et saint Jean Chrysostome. Il faisait observer d’ailleurs que si quelque chose favorisait le manichéisme, c’était assurément la négation du péché originel, car, en ce cas, il est impossible de s’expliquer, sous un Dieu bon, la vie humaine accompagnée de tant de maux qui ne seraient pas mérités.

Le saint docteur remarque que le propre des hérétiques est d’établir des opinions nouvelles à l’aide des passages obscurs de l’Écriture, et que le caractère des pélagiens c’est de travailler à obscurcir les témoignages les plus clairs. Les pélagiens repoussaient l’idée d’une peine quelconque infligée dans l’autre vie aux enfants morts sans baptême ; mais si on nie le péché originel, comment accorder la justice de Dieu avec les souffrances qui assiègent le berceau et atteignent un enfant avant l’âge où il puisse distinguer le bien du mal ? Est-ce que les misères de l’enfance, pure de toute tache, n’accuseraient pas la justice du Créateur ? Cela révolte-t-il moins qu’une peine dans la vie future prononcée contre les enfants non régénérés sur la terre ? Les pélagiens avaient imaginé, pour les enfants morts sans baptême, une éternité bienheureuse, mais hors du royaume de Dieu. S’il n’y a pas de péché originel, pourquoi ces enfants seraient-ils exclus du divin royaume ? Julien, dénaturant les sentiments de l’évêque d’Hippone, disait que le Dieu d’Augustin était un potier qui formait tous les hommes pour la condamnation ; Augustin explique sa doctrine, qui n’est autre que la doctrine de saint Paul sur la prédestination et la réprobation, sur les vases d’honneur et les vases d’ignominie. Le saint docteur ayant à montrer que la mort est une peine de la déchéance primitive, considère notre horreur pour le trépas comme une preuve que cette extrémité terrible n’est pas une suite de notre nature.

Augustin avait achevé le sixième livre de sa nouvelle réponse à Julien, et venait de commencer le septième livre’, lorsque la maladie le força d’interrompre son œuvre ; il la quittait pour ne plus la reprendre. L’œuvre devait se présenter inachevée au respect de la postérité, afin de témoigner que les dernières forces de ce grand homme avaient été consacrées à la défense de la vérité. Mais cette interruption de la lutte n’ôtait rien au triomphe ; il était complet. Augustin avait tout dit sur le pélagianisme, et la condescendance, plus que la nécessité, le déterminait à ce combat. Cette tournée sur le champ de bataille avait uniquement fait voir au monde qu’il ne restait plus d’ennemis à vaincre.

Augustin fut délicat et souffrant toute sa vie, mais cette fois le mal se présentait avec une inquiétante gravité. Le temps approchait où cette lampe ardente devait s’éteindre sur la terre pour se rallumer dans les cieux. N’oublions pas qu’Hippone est assiégée par les Barbares. Le saint évêque est dans sa communauté, entouré de ses prêtres et de ses meilleurs amis ; plusieurs évêques se sont réfugiés dans Hippone, et parmi eux nous apercevons Possidius et Alype, Alype l’ami de la jeunesse d’Augustin, le compagnon de ses premières

  1. Nous avons six livres de l’ouvrage imparfait contre Julien ; quelques manuscrits donnent le commencement du septième. La forme même de la réponse prouve que l’intention de saint Augustin était de faire autant de livres qu’il en avait à réfuter.