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chapitre cinquante-quatrième.

rèle à Carthage. Le saint docteur le remercie des remèdes qu’il a envoyés pour le soutien de sa santé débile, et de ses générosités pour l’augmentation et la réparation de la bibliothèque de la communauté.

La paix que se promettait Darius, et avec lui Augustin et tolite l’Afrique catholique, ne devait pas être de longue durée. Comment espérer que les Barbares, une fois entrés en Afrique, voudraient en sortir ? Les instances de Boniface furent vaines, ses prières inutiles ; on rejeta l’offre d’une grande somme d’argent ; la proie était trop belle pour que Genséric consentît à la lâcher. Le comte, qui avait fait rentrer sous l’obéissance de Valentinien les troupes romaines, eut à tirer l’épée contre ses alliés de la veille ; mais le courage et l’habileté ne triomphent pas toujours de l’inégalité des forces. Genséric, sans compter ses cinquante mille soldats, sans compter les peuplades africaines qu’il pouvait enrôler par l’espérance du pillage, avait dans son parti les donatistes[1] non ralliés à l’unité catholique, ces donatistes qui couvaient des vengeances contre les représentants de la vérité religieuse et souhaitaient le triomphe d’un chef arien pour se débarrasser des édits romains. Ainsi l’esprit d’hérésie facilitait aux Barbares la conquête de l’Afrique. Boniface livra une bataille qu’il perdit ; il se réfugia dans Hippone. « Dieu, dit Tillemont, le remit ainsi entre les mains de saint Augustin, qui allait bientôt sortir de ce monde. » Alors commença le siège d’Hippone ; c’était à la fin de mai ou au commencement de juin 430.

En peu de temps un déluge de maux s’était étendu sur les sept provinces d’Afrique. Avant les calamités de 430, Augustin avait déjà tracé aux prêtres et aux évêques[2] leurs devoirs au milieu des périls de la guerre. Quand des cités se voyaient menacées, la foule accourait à l’église ; on demandait le baptême, ou la réconciliation ou bien la pénitence, et tous voulaient être consolés et munis par la célébration et la dispensation des sacrements. Si des prêtres ne s’étaient point rencontrés là, quel malheur pour ces pauvres victimes de sortir de la vie sans être régénérées ou déliées ! Quelle douleur pour des parents chrétiens de ne pouvoir espérer qu’ils retrouveront leurs proches dans le repos de l’éternité ! Imaginez les lamentations, les imprécations même d’une cité qui va périr sans ministres et sans sacrements ! La présence des prêtres au contraire est féconde en consolations ; elle dépouille la mort de ce qu’elle a d’horrible, relève le courage du peuple et donne une puissante énergie pour supporter les désastres. Un prêtre ou un évêque peut et doit s’enfuir lorsque le danger ne menace que lui ; saint Paul à Damas, saint Athanase à Alexandrie, ont fait ainsi. Ils ont dû se préserver pour l’intérêt de la foi chrétienne. Mais du moment que les mêmes maux menacent les prêtres et les peuples, les pasteurs et le troupeau, le devoir commande de rester au poste du péril. Que dirait-on des matelots ou des pilotes qui, aux approches du naufrage, se sauveraient furtivement à la nage dans un esquif, laissant à la tempête et aux angoisses tous les passagers du vaisseau ? Si, pour l’intérêt de la foi, quelques-uns des ministres doivent se sauver du désastre, le sort décidera quels sont ceux qui demeureront dans la ville assiégée. Ces préceptes de dévouement que donnait Augustin dans sa lettre à Honoré furent héroïquement suivis durant l’effroyable invasion des Vandales.

Le seul souvenir des excès commis par les Barbares épouvante l’imagination. Trois villes seulement avaient résisté : Carthage, Hippone et Constantine. Partout ailleurs s’offraient les atrocités de la conquête. Les cités étaient ravagées et changées en solitudes ; les habitants des campagnes passaient sur les débris de leurs propres demeures ; les populations catholiques, en butte à des fureurs inouïes, n’avaient d’autre alternative que la fuite ou le glaive : trop souvent même la ressource de fuir leur échappait. Les chrétiens fidèles, hommes, femmes, enfants, vieillards, tombaient sous les coups des vainqueurs ; leurs cadavres s’entassaient au milieu de ruisseaux de sang. La dévastation prenait des caractères particuliers d’horreur avec les monastères, les cimetières et les églises ; les Vandales mettaient une infernale joie à les effacer de la terre ; ils allumaient de

  1. Gibbon parle de trois cents évêques et de milliers d’ecclésiastiques donatistes disgraciés, dépouillés ou bannis. L’historien anglais, dont l’hostilité à la foi catholique est bien connue, a prodigieusement exagéré le nombre des victimes appartenant au clergé donatiste. Il est déplorablement inexact en ce qui touche la part de saint Augustin dans la violente répression de ces hérétiques ; nos lecteurs sont à même de redresser sur ce point les torts de Gibbon : Son injustice pour le grand évêque d’Hippone est révoltante, et, du reste, ses jugements religieux sont marqués d’une ignorance profonde. Gibbon avoue lui-même qu’il n’a lu de saint Augustin que les Confessions et la Cité de Dieu, cette lecture eût suffi pour inspirer une plus équitable appréciation. Toutefois on n’a pas le droit de juger saint Augustin quand on ne connaît que ces deux ouvrages.
  2. Lettre 228, à Honoré, 429.