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chapitre cinquante-troisième.

victorieux du cloître contre les penchants de la nature enfantaient des semi-pélagiens. Le livre de la Correction et de la Grâce, arrivé dans les Gaules, n’avait pu triompher de toutes les résistances. Ce fut alors que saint Prosper, illustre disciple d’Augustin sur la grâce, et le moine Hilaire[1], songèrent à soumettre au saint docteur d’Hippone les inquiétudes et les difficultés des catholiques de leur pays.

Prosper, dans sa lettre au grand évêque africain, lui dit qu’il lui est inconnu de visage, mais non point d’esprit et de discours. Augustin se souviendra peut-être d’avoir reçu de ses lettres et de lui en avoir adressé par le saint diacre Léontius. Le pieux et savant Gaulois se croirait coupable si, voyant naître des opinions d’une conséquence pernicieuse, il négligeait d’en informer celui qui est particulièrement chargé de la, défense de la foi. Il lui expose que beaucoup de serviteurs du Christ, dans la ville de Marseille, jugent sa doctrine sur la vocation des élus selon le décret de Dieu contraire au sentiment des Pères et de toute l’Église. L’heureuse et opportune arrivée du livre de la Correction et de la Grâce semblait devoir mettre fin aux disputes ; les vrais catholiques en ont tiré une plus vive lumière, les autres n’en sont devenus que plus rebelles.

Voici quelles étaient les opinions de ces semi-pélagiens. Ils reconnaissaient la déchéance primitive, la transmission de la faute d’Adam sur la tête de la race humaine, la grâce de Dieu par la régénération, mais ils soutenaient que la propitiation qui est dans le sacrement du sang du Christ était offerte à tous les hommes sans exception, de manière que chacun pouvait être sauvé s’il voulait arriver à la foi et au baptême. Dans leurs pensées, Dieu, avant même la création du monde, avait connu par sa prescience ceux qui croiraient et se maintiendraient dans la foi, aidés de la grâce ; il les avait prédestinés à son royaume, parce qu’il savait qu’ils devaient un jour se rendre dignes de leur vocation gratuite et quitter saintement cette vie. C’est pourquoi les préceptes divins invitent tout homme à la foi et aux bonnes œuvres, afin que personne ne désespère d’obtenir l’éternelle vie, réservée à la piété volontaire. Quant au décret de la vocation divine par lequel, avant le commencement du monde, au moment de la formation du genre humain, s’est faite la séparation des élus et des réprouvés, les semi-pélagiens des Gaules l’entendaient mal, et n’y voyaient qu’une grande cause de tiédeur pour les uns, de désespoir pour les autres ; ils refusaient d’accepter que les uns naquissent des vases d’honneur, les autres des vases d’ignominie ; si Dieu prévient les volontés humaines, disaient-ils, il n’y a plus ni activité ni vertu ; cette prédestination n’est qu’une nécessité fatale ; elle établit chez les hommes une diversité de nature. Les objections de Julien, démolies par l’évêque d’Hippone, revenaient sur les lèvres des semi-pélagiens des Gaules.

D’autres catholiques de ces contrées se rapprochaient bien plus encore des erreurs de Pélage. La grâce n’était pour eux que la puissance du libre arbitre, l’usage de la raison et de toutes les facultés naturelles ; pour. devenir enfant de Dieu, il suffisait de le vouloir ; le décret de la grâce c’était de n’appeler à l’éternel royaume que ceux qui passaient par la régénération du sacrement ; mais tous étaient appelés au salut, soit par la loi naturelle, soit par la loi écrite, soit par la prédication évangélique. Ceux qui n’auront pas cru, périront ; voilà la justice de Dieu ; nul n’est repoussé de la vie, mais Dieu veut nous amener tous indifféremment à la connaissance de la vérité et veut nous sauver tous ; voilà sa bonté. Pour ce qui est des enfants morts avec le baptême ou sans le baptême, on disait que Dieu les traiterait selon le bien ou le mal qu’ils auraient fait s’ils avaient longtemps vécu. Ces catholiques pensaient aussi que le commencement du salut vient de celui qui est sauvé et non point de celui qui sauve, et qu’il appartient à la volonté humaine de se munir du secours de la grâce divine, et non point à la grâce de soumettre la volonté.

Après avoir exposé ces opinions des Gaules qui avaient pour défenseurs des hommes d’une vie irréprochable et des hommes même revêtus du caractère sacré de l’épiscopat, Prosper ne se juge pas assez fort pour lutter contre de tels adversaires ; à l’exception d’un petit nombre d’amateurs intrépides de la grâce parfaite, personne n’a osé disputer avec des contradicteurs pareils. Prosper supplie Augustin de vouloir bien mettre dans le plus grand jour possible toute cette matière. Au nombre des contradicteurs, il cite le pieux et

  1. Les deux lettres de saint Prosper et d’Hilaire sont en tête des livres de la Prédestination des Saints et du Don de la Persévérance, tome X, p. 779.