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chapitre cinquante-deuxième.

son expression, il se jugea lui-même en présence de Jésus-Christ, afin d’éviter d’être jugé par lui en présence de toute la terre.

Cet homme, que nul n’aurait osé entreprendre de censurer, comme dit Cassiodore, montra contre lui-même une inexorable sévérité. La révision fut un grand examen de conscience philosophique, théologique et historique. Malgré toute sa sévérité, l’évêque d’Hippone n’eut à relever rien de bien important ; il se borne à rectifier de temps en temps quelques légères inexactitudes, à éclaircir des points obscurs, à développer des idées restées parfois incomplètes[1]. Quelle sûreté de jugement il a fallu pour que, durant plus de quarante ans de travaux sur les plus difficiles matières, Augustin n’ait laissé échapper rien de grave dont la sublime expérience de sa vieillesse ait dû s’accuser !

L’évêque d’Hippone sentait qu’il lui restait peu de temps à vivre ; il s’inquiétait de l’idée que la mort viendrait peut-être interrompre sa Révision ; il y travaillait sans relâche, et lui donnait même le repos des nuits dont son corps épuisé aurait eu tant besoin. Cette pieuse hâte d’un grand homme pour terminer une œuvre avant que la tombe s’ouvre, est un des spectacles les plus féconds en émotions respectueuses.

Dans notre époque où les hommes ont besoin d’être ramenés à l’amour de la vérité, le travail de l’illustre vieillard d’Hippone pour corriger ses fautes est un mémorable exemple digne d’être médité. À de rares exceptions près, la littérature contemporaine est devenue le grand art de mentir ; on s’attache non point à ce qui est vrai, mais à ce qui remue ou à ce qui amuse : les lettres sont aujourd’hui une capricieuse fantasmagorie qui n’obéit à d’autres lois qu’aux passions du cœur ou au plaisir de l’esprit. Malheur aux âges qui, pour signe, portent au front le mépris de la vérité ! Quel fondement de renommée pour les hommes que le culte de ce qui n’est pas ! Ce n’est point à ceux-là qu’appartient l’immortalité de la gloire ; la postérité juge sur ce point comme Dieu lui-même au delà du tombeau.

La Révision du docteur africain a été non-seulement un bel hommage à la vérité, mais encore un grand service rendu à l’Église, qui a pu apprendre par là d’une manière certaine quels ouvrages appartiennent à saint Augustin. À chaque œuvre qui se présente, l’évêque d’Hippone marque le titre, le sujet ; et à quelle occasion elle fut composée ; il marque aussi les mots par où l’œuvre commence. La Révision est divisée en deux livres ; le premier renferme tous ses écrits depuis sa conversion jusqu’à son épiscopat exclusivement ; le second renferme tous ses écrits depuis son épiscopat. La Révision nous offre quatre-vingt-treize ouvrages qui forment deux cent trente-deux livres. Jusque-là Augustin n’en avait pas su lui-même le nombre. Il s’occupait de la Révision de ses lettres lorsqu’il lui fallut répondre aux huit livres de Julien dont nous parlerons un peu plus tard. Ne pouvant se résoudre à quitter l’œuvre commencée, il travaillait le jour à la Révision, et la nuit à la Réfutation de Julien[2]. Le catalogue de Possidius, qui comprend les livres, les lettres et les sermons de saint Augustin, nous donne un total de mille trente écrits ! Ce catalogue ne renferme pas tout ce qui est sorti de la plume[3] ou de la bouche du docteur d’Hippone, mais seulement ce que le grand évêque avait entrepris de revoir. Nous avons déjà plus d’une fois, dans cet ouvrage, exprimé notre étonnement à la vue des prodigieux travaux de saint Augustin.

Chacun voulait mettre à profit, dans l’intérêt de la vérité, les dernières années d’Augustin sur la terre. Un diacre de Carthage, Quodvultdeus, qui depuis, évêque de cette métropole, souffrit pour la foi sous Genseric, avait demandé[4] au vieil Augustin un ouvrage sur les hérésies, leur nombre, leurs diversités, une sorte de sommaire de chacune des grandes erreurs contraires à la foi catholique, à l’usage des clercs et des fidèles ; il s’adressait au docteur d’Hippone comme à l’homme qui avait entre les mains les clefs du sanctuaire de la vérité. Le grand évêque, dans sa réponse[5], disait à Quodvultdeus combien de difficultés présentait un travail de ce genre. Il lui parlait d’un Traité des hérésies, par saint Philastre, évêque de Brescia, qu’il avait vu à Milan avec

  1. Fléchier, dans son Panégyrique de saint Augustin, voulant relever l’humilité de l’évêque d’Hippone, dit que le saint docteur condamna par une censure publique tout ce qu’il trouva de faux, de défectueux ou d’imprudent dans ses ouvrages. Cette appréciation n’est pas exacte, Saint Augustin ne trouva rien de faux ni de téméraire à relever.
  2. Lettre à Quodvultdeus, lettre 224. À l’époque où saint Augustin écrivait cette lettre, il commençait la réponse au quatrième livre de Julien.
  3. Quand nous employons ici le mot de plume, nous n’ignorons pas qu’on n’usait point alors de plumes d’oie pour écrire, mais c’est pour nous faire comprendre ; si nous parlions des ouvrages sortis du stylé de saint Augustin, le lecteur pourrait éprouver quelque surprise.
  4. Lettre 221.
  5. Lettre 222.