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chapitre cinquantième.

sur les Biens de la vie est une riche peinture des joies et des splendeurs données à l’homme dans ce magnifique univers. Si Dieu a daigné accorder à l’homme, durant son laborieux pèlerinage de la vie, une demeure aussi belle que cet univers, de quelles inexprimables beautés sera revêtue la future demeure des bienheureux destinés à ne plus connaître ni les combats, ni les souffrances, ni la mort ! Ce dernier livre contient le récit de beaucoup de miracles arrivés au temps d’Augustin. Avant de les rapporter, l’évêque d’Hippone répond à ceux qui demandent pourquoi il n’y a plus de miracles. Ils furent nécessaires avant l’établissement de la foi chrétienne, leur dit Augustin ; « à présent, ajoute-t-il, quiconque cherche des prodiges pour croire est lui-même un grand prodige de ne pas croire, tandis que le monde croit[1]. »

Nous ne prétendons pas avoir fait comprendre tout ce que renferme la Cité de Dieu ; à peine avons-nous pu faire entrevoir quelques astres de ce firmament magnifique. On a reproché à cet ouvrage des longueurs, des répétitions ; ce sont là des défauts de peu d’importance et qui tiennent à la manière même dont fut composée la Cité de Dieu ; ces défauts n’existeraient pas ou certainement ils seraient moindres si l’œuvre avait été écrite de suite. Un écrivain docte et laborieux, mais qui, plus d’une fois, a manqué de mesure dans ses jugements, et qui a traité saint Augustin avec la légèreté d’un esprit passionné, Ellies Dupin[2], ne veut pas qu’on admire l’érudition de la cité de Dieu. L’évêque d’Hippone a mis à contribution Varron, Sénèque, Cicéron ; c’est trop peu selon le critique compilateur ; il fallait puiser à des sources inconnues ; faute de n’avoir tiré aucun auteur de la nuit, Augustin s’est condamné à faire un livre où il ne se rencontre rien de fort curieux ni de bien recherché. Critiquer ainsi c’est ne pas comprendre une œuvre. Dans la Cité de Dieu, l’histoire est un moyen et non pas un but ; elle y occupe la place que lui a marquée le grand penseur chrétien. Ellies Dupin n’a pas pris garde à la portée philosophique et religieuse de cette composition. Il y a un orgueil d’érudit que Dieu punit en lui dérobant l’intelligence des œuvres du génie.

La Cité de Dieu est un monument surprenant par la nouveauté, la hauteur et l’étendue de la conception, par l’abondance des faits et des idées : avant saint Augustin, nul génie n’avait vu si bien et de si haut tant de choses. La Cité de Dieu est comme l’Encyclopédie du cinquième siècle ; elle embrasse toutes les époques, toutes les questions et répond à tout. C’est le poème chrétien de nos destinées dans leurs rapports avec notre origine et notre fin dernière. La Cité de Dieu et les Confessions, lues et relues depuis quatorze siècles, le seront encore tant qu’il y aura trace des lettres humaines, parce que ces deux ouvrages, qui ont pour sujet Dieu et l’homme, gardent leur intérêt malgré les révolutions des temps.

La Cité de Dieu ferme le monde païen avec ses fables et sa philosophie, ou plutôt l’épopée de saint Augustin est un solennel jugement du passé qui se trouve condamné après un procès complet : comme l’antique Égypte jugeait ses rois avant de procéder à leur sépulture, ainsi le christianisme, par la bouche d’Augustin, interroge les dieux du vieil univers et les rois de la pensée humaine, montre aux uns leur impuissance à soutenir les peuples qui les adoraient, aux autres leur impuissance à monter jusqu’à la vérité avec les seules ailes du génie, et déclare leur défaite définitive ; puis il chante les funérailles des dieux et des philosophes, et s’assied victorieux sur leur immense sépulcre scellé de sa puissante main[3].

Saint Augustin avait donné sa pensée historique à Orose, qui la reproduisit mal ; il traça avec la vigueur et la sûreté du génie ces grandes lignes pour lesquelles s’était montré trop faible le savant prêtre d’Espagne admis dans son intimité. Salvien s’inspira de la Cité de Dieu dans son livre du Gouvernement du Monde. Bossuet comprit mieux qu’Orose les vues de l’évêque d’Hippone, et le Discours sur l’Histoire universelle durera autant que la Cité de Dieu. L’honneur d’avoir fondé en histoire l’école de la Providence n’appartient point à Bossuet[4], mais à saint Augustin ; c’est le grand

  1. Quisquis adhuc prodigia ut credat inquirit, magnum est ipse prodigium, qui mundo credente non credit. Chap. 8, liv. xxii.
  2. Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclés.
  3. « Plus on examine la Cité de Dieu, dit M. Beugnot (tome ii, Histoire de la destruction du paganisme), plus on reste convaincu que cet ouvrage dut exercer très-peu d’influence sur l’esprit des païens. »

    La correspondance de cette époque nous prouve, au contraire, que la Cité de Dieu frappa très-vivement les contemporains. Les païens ne délaissèrent pas tout à coup leurs dogmes mythologiques, parce qu’en matière de doctrines, l’obstination est le caractère des vaincus ; mais le coup de mort était porté au paganisme ; les dieux étaient finis dans l’opinion des hommes.

  4. Quelques modernes ont voulu voir dans Vico le fondateur de l’école Historique de la Providence ; nous n’avons pas à juger ici l’au-