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chapitre quarante-huitième.

que le peuple s’écria : Rendons grâces à Dieu ! Louanges au Christ ! Ces cris furent répétés vingt-trois fois. Christ, exaucez-nous, prolongez la vie d’Augustin ! Le peuple répéta cette prière seize fois. Il dit huit fois à Augustin : Vous pour père, vous pour évêque !

Lorsque les acclamations eurent cessé, Augustin poursuivit ainsi : « Il n’est pas besoin que je loue Éraclius ; j’aime sa sagesse et j’épargne sa modestie. Il suffit que vous le connaissiez ; quand je le demande pour successeur, je sais que vous le désirez aussi ; si je l’avais ignoré, vos acclamations d’aujourd’hui me l’auraient prouvé. Voilà donc ce que je veux, voilà ce que je demande à Dieu avec d’ardentes prières, malgré le froid de mes vieux ans. Je vous exhorte, vous avertis, vous conjure de le demander avec moi, afin que, la paix du Christ unissant toutes nos pensées, Dieu confirme ce qu’il a opéré en nous. Que Celui qui m’a envoyé Éraclius, le garde, le conserve sain et sauf et sans crime, pour qu’après avoir fait la joie de ma vie il me remplace après ma mort. Vous le voyez, les notaires de l’Église recueillent ce que nous disons, ce que vous dites : mes paroles et vos acclamations ne tombent point à terre. Pour parler plus clairement, ce sont des actes ecclésiastiques que nous faisons en ce moment, et par là je veux confirmer ma volonté autant qu’il est au pouvoir de l’homme. »

Alors le peuple s’écria trente-six fois : Rendons grâces à Dieu ! Louanges au Christ ! Il répéta treize fois : Christ, exaucez-nous, prolongez la vie d’Augustin ! Il répéta huit fois Vous pour père, vous pour évêque ! Il répéta vingt fois : il est digne et juste ! Le peuple répéta cinq fois : Il a bien mérité, il est bien digne !

Augustin ayant de nouveau invité les fidèles à prier Dieu pour la confirmation de leur volonté et de la sienne, le peuple répondit par seize fois : Nous vous rendons grâces de votre choix. Il dit douze fois : Que cela se fasse, et six fois : Vous pour père, Éraclius pour évêque. Augustin fit remarquer qu’il avait été ordonné évêque du vivant de Valère, dont il fut le coadjuteur ; que cette ordination avait été contraire à un décret du concile de Nicée qui lui était inconnu, et que pareille chose ne devait pas se faire pour Éraclius. Le peuple répondit par ces mots treize fois répétés : Rendons grâces à Dieu ! Louanges au Christ !

Le saint vieillard rappela qu’on devait, d’après une promesse positive, le laisser libre cinq jours de la semaine pour faire sur les Écritures un travail dont l’avaient chargé les Pères des conciles de Numidie et de Carthage. Un acte dont lecture fut faite et des acclamations semblaient assurer à Augustin le loisir convenu ; mais le peuple ne tarda pas à oublier sa promesse : il avait continué à ravir à l’évêque les heures du matin et de l’après-midi. Augustin suppliait donc qu’on s’adressât désormais à Éraclius : Nous vous rendons grâces de votre choix, ce fut la réponse du peuple vingt-six fois répétée. Augustin redit bien au peuple que ses conseils ne manqueront pas à Éraclius, et que le loisir dont il va jouir ne sera point un temps donné au repos. Avant de demander la signature de l’acte d’élection, l’évêque en appelle de nouveau et pour la dernière fois au jugement du peuple, et des acclamations longtemps répétées retentissent dans la basilique de la Paix. Puis Augustin invite le peuple à redoubler de ferveur durant le saint sacrifice qui va commencer ; il demande au peuple de prier pour l’Église d’Hippone, pour lui Augustin et pour le prêtre Éraclius[1].

Nous avons reproduit cette séance du 24 septembre 426 à Hippone avec tous les caractères qu’elle présente dans l’acte qui fut alors dressé, et dont le texte[2] nous est parvenu. La physionomie des anciens âges de foi évangélique s’y révèle tout entière. C’est bien là une séance de la république chrétienne en ces temps où les rois de la terre n’avaient rien à voir dans le choix d’un pasteur spirituel. Combien ce spectacle dut être attendrissant et beau ! Augustin, le profond génie, l’oracle des conciles africains, le docteur dont le monde entier révérait la pensée, se présente dans cette église d’Hippone qu’il gouverne depuis trente et un ans, et, au milieu d’une très-nombreuse assemblée convoquée comme une grande famille, il parle de sa jeunesse écoulée et de ses

  1. Nous avons lu, dans le tome V des Œuvres de saint Augustin (édition des Bénédictins), un sermon du prêtre Éraclius, prononcé en présence du grand évêque d’Hippone. Ce sermon avait été comme une épreuve à laquelle le saint docteur crut devoir soumettre la capacité de celui qu’il désirait pour successeur. Il est écrit avec élégance et annonce un esprit orné. Éraclius s’étonnait d’oser parler pendant que se taisait Augustin ; mais, ajoutait-il, Augustin ne se taira point si le disciple ne dit que ce qu’il aura appris du maître. Ce discours est comme un hymne de louange en l’honneur de saint Augustin. Éraclius souhaite de pouvoir mettre suffisamment à profit tout ce que lui a enseigné ce grand homme.
  2. Le texte de cet acte forme la lettre 213. Edit. Bénéd.