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histoire de saint augustin.

quitté pour Jésus-Christ et la vie commune.

Hippone possédait un monastère de femmes, monastère de prédilection pour le grand évêque ; il l’avait planté, selon son expression, pour être le jardin du Seigneur ; une de ses sœurs en avait été la supérieure. C’est dans ce monastère, longtemps sa consolation au milieu des tempêtes de sa vie d’évêque, qu’éclatèrent de graves discussions. La communauté se révolta contre la supérieure, Félicité, qui avait succédé à la sœur d’Augustin ; les vierges d’Hippone adressèrent une supplique au saint évêque pour qu’il leur donnât une autre mère ; elles le conjuraient aussi de venir les visiter. Augustin refusa d’accueillir cette double prière et s’en expliqua dans une lettre[1] qu’il écrivit à la communauté. Saint Paul disait aux Corinthiens : « C’est pour, vous épargner que je n’ai pas voulu aller à Corinthe. » C’est aussi pour épargner la communauté coupable de désobéissance qu’Augustin a refusé de la visiter ; il craignait d’avoir tristesse sur tristesse, selon les paroles mêmes de l’Apôtre. Au lieu de montrer son visage aux hôtes du monastère, il a mieux aimé répandre son cœur devant Dieu en leur intention, et traiter l’affaire non avec ces religieuses par des paroles, mais avec Dieu par des larmes. Ce qui faisait sa joie s’est changé en deuil ; quand le spectacle des maux de la terre attristait et agitait trop son âme, la douce paix, l’union vertueuse, la sainteté de ce monastère, devenaient pour lui un repos béni ; et maintenant c’est de là que lui vient l’affliction. Tandis qu’il avait la consolation devoir rentrer les donatistes dans l’unité, il lui faut pleurer le schisme d’un monastère qui lui était cher. Augustin, dans sa lettre, fait sentir quelle est : cette femme contre laquelle de capricieuses préventions se sont armées ; depuis un grand nombre d’années, elle a persévéré dans la sainte vie du monastère ; elle a vu la maison grandir et monter au point qu’elle a maintenant atteint ; elle a reçu et vu croître sous ses yeux maternels toutes les vierges qui sollicitent son départ ; toutes ont été instruites et formées ; toutes ont pris le voile sous sa direction. Augustin les invite vivement à revenir à la paix de Jésus-Christ, à ne pas s’abandonner à quelque violent dépit ; il faut qu’elles imitent les larmes de saint Pierre, et non pas le désespoir du mauvais apôtre.

Pour diriger le monastère dans les voies droites, et prévenir tout désordre à l’avenir, Augustin transmit aux religieuses d’Hippone des règlements dont il ordonna l’exécution. Ils sont connus dans l’univers catholique sous le nom de Règle de saint Augustin. Nous n’avons point à les reproduire ici ; on les trouvera partout. C’est un modèle de législation monastique où tout est admirablement prévu. Cette Règle, si profondément sage et si complète, a eu dans sa destinée quelque chose des œuvres de Dieu. À l’époque où l’évêque d’Hippone l’écrivait, des rois, des empereurs, des conseils du peuple, aux quatre parties de la terre, dictaient aussi dès lois : depuis quatorze siècles, d’autres puissances, appuyées sur le glaive de la violence ou sur l’amour des nations, ont fait aussi des lois. Que sont devenues la plupart de ces législations promulguées dans un appareil solennel, et qui avaient la prétention de durer autant que les astres ? Elles sont tombées au fond de je ne sais quel sépulcre, et n’ont pas plus de force et d’autorité que la poussière des morts. Nul peuple, nulle créature humaine ne s’y soumet, nul regard humain n’y prend garde. Parfois seulement quelque esprit curieux s’en va fouiller dans la poudre séculaire, comme en visitant les ruines des cités antiques on soulève la pierre des tombeaux pour y chercher quelque relique, quelque image d’un passé lointain. Telle n’a point été la destinée de la Règle de saint Augustin, cette Règle dictée en un moment de recueillement dans la chambre d’un évêque. Après avoir régi la communauté d’Hippone et d’autres communautés africaines, elle a passé les mers, traversé les royaumes, et puis traversé les âges, servant de législation à une foule de sociétés religieuses qu’enfantait le zèle chrétien. Nous avons compté plus de cinquante ordres religieux[2] établis sous la

  1. Lettre 211.
  2. Lancilot, à la fin de sa monographie de saint Augustin, donne un tableau de tous les couvents du monde qui ont suivi la Règle de l’évêque d’Hippone. Mais il faut voir surtout, dans l’Histoire des ordres religieux, par le P. Héliot, les différentes congrégations qui suivent la Règle de saint Augustin, et les ordres militaires compris dans cette Règle. Tome iii et iv, Paris, 1715. Voyez aussi le Chandelier d’or ou Chronique des prélats et religieux qui suivent la Règle de saint Augustin, par le P. Athanase de Saint-Agnès, augustin déchaussé. in-4o, Lyon, 1643. Histoire de saint Augustin, fondateur des clercs réguliers et des Ermites dits Augustins, tome I de l’Histoire des ordres religieux, par Hermant. In 12. Rouen, 1710.
    Des savants ont examiné la question de savoir, si saint Augustin a été moine et s’il a institué des religieux. Notre lecteur est en mesure de résoudre cette question ; il a vu que saint Augustin, depuis son retour en Afrique, a toujours vécu de la vie monastique, et que des communautés se formèrent à Hippone sous la direction du évêque.