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histoire de saint augustin.

tin lui signale, s’il veut non-seulement passer aux autels catholiques, mais même demeurer catholique : il lui sera plus glorieux de les reconnaître que de ne les avoir jamais commises. Lui-même avait dit qu’il renoncerait à ses propres pensées dès qu’il en apercevrait de meilleures, et que son cœur irait toujours à ce qu’il y aurait de plus vrai. C’est le moment de prouver que ces paroles-là n’étaient pas de vaines promesses.

Le quatrième livre, si plein de choses et d’une si haute portée, nous associe aux derniers efforts d’Augustin pour conquérir une jeune intelligence. Que lui importe si Victor, jeune homme, a voulu reprendre Augustin vieillard, si le laïque a voulu en remontrer à l’évêque dont il loue en même temps la science et la capacité 1 Augustin ignore s’il est savant et habile ; bien plus, il sait bien qu’il ne l’est pas ; mais il remercie Victor d’avoir songé à lui communiquer ce qu’il croyait la vérité. Seulement le grand docteur eût mieux aimé être repris pour les fautes qui peuvent se rencontrer dans la foule de ses ouvrages. Ce que Victor lui reproche, c’est de ne pas avoir osé se prononcer sur l’origine de l’âme, c’est d’avoir établi la spiritualité de notre intelligence. Si Victor avait appris à Augustin quelque chose, celui-ci se serait résigné, dit-il, non-seulement à être frappé par des paroles, mais même à être frappé à coups de poing ! Cependant il n’en est rien : le jeune homme n’a rien éclairci et n’a fait qu’entasser des inexactitudes. Augustin l’invite à prendre son parti sur le mystère de l’origine de l’âme ; que d’autres problèmes en nous demeurent sans solution ! L’évêque demande comment se forme le corps de l’homme dans le sein maternel, comment le sang, la chair et les os se produisent successivement, et comment enfin doivent s’expliquer les innombrables phénomènes de notre organisation physique. Il est des choses plus hautes et plus étendues que le génie de l’homme. Nous ne pouvons pas nous comprendre nous-mêmes, et certainement nous ne sommes pas en dehors de nous[1]. Pendant que nous vivons, dit Augustin, et que nous sommes très-certains de nous souvenir, de comprendre et de vouloir, nous qui nous donnons pour de grands connaisseurs de notre nature, nous ne savons pas tout à fait ce que peut notre mémoire, notre intelligence, notre volonté. Le docteur cite un ami de sa jeunesse, appelé Simplicius, doué d’une merveilleuse mémoire, qui récitait sur-le-champ et rapidement n’importe quel passage de Virgile ; il pouvait même réciter les vers du poète à rebours, et possédait de la même manière la prose de l’orateur romain, La première fois qu’eut lieu cette étonnante expérience, Simplicius prit Dieu à témoin qu’auparavant il ne se doutait pas d’une telle faculté ; l’expérience seule lui révéla cette puissance. Avant l’essai, il était pourtant le même homme. Quand nous faisons des efforts de mémoire, que cherchons-nous, sinon nous-mêmes, sinon ce que nous avons déposé en nous ? La mémoire est un trésor dont nous ne connaissons ni la profondeur ni l’étendue ; il en est ainsi des autres facultés de l’homme. « Les forces de mon intelligence, dit Augustin à Victor, ne me sont pas entièrement connues, et je crois que vous êtes comme moi. » La volonté ignore aussi sa puissance comme sa faiblesse ; l’apôtre Pierre voulait mourir pour son Maître et n’avait pas trompé le Sauveur en le lui promettant ; mais ce grand homme, qui avait connu que Jésus était le Fils de Dieu, ne se connaissait pas lui-même. Victor avait osé dire que si l’homme ne savait pas l’origine des son âme, il serait semblable à la bête. Augustin répond qu’on est pareil à la bête si on vit ; selon la chair, si on borne l’existence aux terrestres limites, si on n’espère rien après la mort, et non point si on confesse son ignorance. « Que ma timidité de vieillard, ô mon fils, dit le grand évêque à Victor, ne déplaise pas trop à votre présomption de jeune homme ! »

Abordant ensuite la question de la nature de l’âme, Augustin prouve à Victor que l’âme est esprit et non pas corps. Victor avait dit : Si l’âme n’est pas un corps, elle ne peut être je ne sais quelle substance vide. Or, le jeune philosophe croyait que Dieu était esprit. L’évêque lui fait remarquer que Dieu, dont la substance est immatérielle, n’est pas pour cela quelque chose de vide. L’incorporéité de l’âme peut donc être quelque chose de réel. Victor, par une interprétation inexacte d’une parole de saint Paul[2], distinguait dans l’homme trois substances : l’âme ou l’homme intérieur, l’esprit ou l’homme intime, le corps ou l’homme extérieur. Mais saint Paul, dans ce même passage dont abusait le jeune Africain, dit que notre

  1. Nos non possumus capere nos, et cerce non sumus extra nos. Livre IV, chap. 6.
  2. Épît. aux Thess., v, XXIII.