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chapitre deuxième.

Créateur dans les beautés de ses ouvrages. Il apprit à connaître le Verbe (logos) de Platon, mais il ne reconnaissait pas encore le Verbe fait chair, le Verbe fait humble et pauvre, et attaché à une croix. Augustin ne comprenait pas Jésus-Christ, parce qu’il ne comprenait pas l’humilité. Les livres des platoniciens, quoiqu’ils fussent plus avancés que Platon lui-même, ne la lui avaient point apprise. Ils lui avaient enseigné où il fallait aller, mais non point par quelle voie[1]. La philosophie profane, dans ce qu’elle eut de plus parfait, fut comme une hauteur sublime d’où l’on apercevait la lointaine patrie de la paix et de la lumière, mais d’où l’on ne découvrait pas un chemin pour y parvenir. C’est Jésus-Christ qui est la voie ; Augustin l’ignorait encore. Il vit pour la première fois, dans les Épîtres de saint Paul, que la lumière divine nous aide à connaître la vérité, et que l’homme, précipité dans la mort par une primitive déchéance, ne peut en sortir que par le secours divin. Saint Paul semble emporter Augustin dans un nouveau voyage aux cieux pour lui montrer l’éternelle demeure du vrai.

L’effet produit sur Augustin par saint Paul fut autrement complet et décisif que la lecture de Platon. « Le plus savant des Pères de l’Église, dit Fléchier[2], devait être la conquête du plus savant des apôtres. »

L’âme d’Augustin était trop pleine ; il fallait que la charité du prêtre chrétien en recueillît les débordements sacrés. Augustin s’ouvrit à Simplicien, le père spirituel d’Ambroise, et plus tard son successeur dans le siège épiscopal de Milan. Le saint vieillard lui raconta la conversion du professeur Victorin ; rien n’était plus propre à l’intéresser. Pontitien, personnage considérable, fort en crédit à la cour de l’empereur, et déjà chrétien, visitant un jour son compatriote Augustin, trouva sur sa table les Épîtres de saint Paul, et en fut joyeux. Pontitien raconta à Augustin et à ses amis la vie de saint Antoine, qui leur était inconnue, et le trait de deux officiers de l’empereur qui, ayant lu par hasard les saintes merveilles du solitaire du mont Colzim, résolurent tout à coup de se donner exclusivement à Dieu. Ces deux officiers étaient jeunes et sur le point de se marier ; leurs fiancées, touchées de leur exemple, consacrèrent à Dieu leur virginité. Ces récits frappèrent beaucoup Augustin. Un combat terrible s’engage dans son âme, entre sa volonté spirituelle et sa volonté charnelle, entre cette portion de lui-même qui s’élevait en haut, et cette autre portion de lui qui retombait constamment sur la terre.

L’abîme du cœur humain se montre à nous dans les étonnantes peintures qu’Augustin trace de lui-même dans ses Confessions[3]. Le spectacle d’Augustin se débattant dans sa chaîne est une des plus belles et des plus profondes études qui aient été faites. Augustin demeure attaché aux bords de l’abîme de ses anciennes misères, et y reprend haleine ; puis, peu à peu, il se rapproche du bien vers lequel il tend péniblement les bras. À mesure qu’il est près d’atteindre le but, il se sent comme saisi de terreur par la pensée qu’il faut mourir à l’ancienne vie pour renaître dans l’amour du bien. Cette pensée ne le faisait pas reculer, mais il demeurait en suspens. Les folles vanités, ses amies d’autrefois, le tirant, pour ainsi parler, par le vêtement de sa chair, semblaient lui dire : « Vous nous abandonnez donc ? » Les furtives attaques des petites choses humaines parvenaient ainsi à ralentir la marche d’Augustin ; il traînait les derniers anneaux d’une chaîne qui allait se briser.

Quelles saintes et solennelles heures que celles d’Augustin, passées dans le jardin de la maison qui était sa demeure à Milan, heures d’angoisses profondes où il n’avait pour témoin que son ami Alype ! Celui-ci attendait en silence le dénouement de ce grand drame du cœur d’un homme de génie. Le violent orage intérieur amena une pluie abondante de larmes. Pour pleurer en liberté, Augustin se leva et s’éloigna d’Alype ; il alla se jeter à terre sous un figuier, et se mit à fondre en larmes et à pousser des gémissements religieux. Tout à coup d’une maison voisine sort comme la voix d’une jeune fille ou d’un jeune garçon, qui disait en chantant et répétait ces paroles : « Prenez et lisez, prenez et lisez. »

« Je changeai soudain de visage, dit Augustin[4], et je me mis à chercher attentivement en moi-même si, dans certains jeux, les enfants n’avaient pas coutume de chanter quelque chose de semblable ; il ne me souvenait pas de l’avoir jamais entendu. Arrêtant alors

  1. …Discernerem atque distinguerem quid interesset inter prsesumptionem et confessionem ; inter videntes quo eundum sit nec videntes qua, et viam ducentem ad beatificam patriam, non tantum cernendam sed et habitandam. Confess., livre VII, chap. 10.
  2. Panég. de saint Augustin.
  3. Livre VIII, chap. 9 et suiv.
  4. Confess. livre VIII, chap. 12.