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histoire de saint augustin.

commençai à croire que la détestable coutume qu’ils avaient reçue de leurs ancêtres, par une longue succession de temps, serait abolie. Je mis fin alors à mon discours, et j’en remerciai Dieu, exhortant tout le monde à s’associer à mes actions de grâces[1]. »

À l’époque où l’évêque d’Hippone rappelait ce souvenir, huit ans s’étaient écoulés depuis le discours prononcé devant le peuple de Césarée, et l’effroyable coutume contre laquelle s’était élevée l’éloquence d’Augustin n’avait plus reparu.

Augustin croyait n’avoir rien fait tant qu’il ne recueillait que des suffrages et des applaudissements : quelle grande leçon donnée aux orateurs évangéliques !

Parmi les lettres sans date que nous offre la correspondance de saint Augustin, il en est quelques-unes qui nous paraissent pouvoir trouver ici leur place. Nous les recueillons parce qu’elles renferment des traits de mœurs à l’aide desquels nous pénétrons dans la société de ce temps. Voici d’abord Possidius, l’évêque de Calame, occupé de mettre un terme à de mondaines frivolités qui blessaient sa piété ; il avait demandé les conseils d’Augustin avant de prendre une résolution à l’égard des bijoux et des vêtements ; l’évêque d’Hippone l’engagea à ne rien brusquer. On peut interdire les parures d’or et les étoffes de prix aux personnes non mariées et qui ne songent pas à l’être, mais on les laisse à d’autres à qui est permis un certain désir de plaire, borné à d’honnêtes limites ; cependant il ne faut pas souffrir que les femmes, même mariées, montrent leurs cheveux, puisque saint Paul va jusqu’à demander qu’elles soient voilées. Augustin n’approuve pas le fard pour se donner de l’éclat ou de la blancheur ; il ne pense pas que les maris, pour lesquels seuls on permet la parure aux femmes, soient disposés à encourager ces charmes d’emprunt. La vraie parure des époux chrétiens, c’est la pureté des mœurs ; les païens portaient des pendants d’oreilles auxquels la superstition attribuait certaines vertus ; il se rencontrait des chrétiens qui n’avaient pas la force de renoncer à ces coutumes, et l’évêque d’Hippone fait entendre contre eux les plus sévères paroles.

Les idées de fatalité résistaient parfois encore aux doctrines évangéliques. On mettait ses fautes sur le compte du destin, pour se dispenser de les reconnaître ou de combattre les mauvais penchants. Lempadius était un des personnages d’Afrique qui recherchaient la conversation d’Augustin et se consolaient par des lettres du chagrin de ne plus le voir. Les opinions fatalistes frappaient son esprit ; il les développa dans une lettre adressée à l’évêque d’Hippone. Le saint docteur lui répondit avec un sentiment de peine profonde ; il s’affligeait que des idées, destructives de toute moralité chez les hommes, pussent abuser des intelligences. Qu’est-ce que c’est qu’une doctrine avec laquelle il n’y a plus ni loi, ni règle, ni correction, ni avertissement, ni éloge, ni blâme, ni châtiment, ni récompense ? Elle renverse d’un seul coup tout ce qui compose le gouvernement de la société humaine. Du moment qu’il n’y a plus de volonté libre, qui donc osera punir ? Augustin raille les astrologues qui débitaient ces funestes absurdités, et demande s’ils auraient souffert des désordres dans leur ménage et s’ils auraient permis à leurs femmes de justifier des dérèglements par l’impossibilité d’échapper à sa destinée. Quel est le fataliste qui, dans sa vie de tous les jours, au logis, dans les affaires, sur la place publique, ne proteste contre son propre système ?

Dans d’autres lettres, l’évêque d’Hippone défend une jeune orpheline qui se trouvait placée sous la tutelle de l’Église ; un chrétien de ses amis, le seigneur Rusticus, la demandait pour son fils ; mais ce fils était encore païen, et l’évêque repoussait l’union d’un païen avec une jeune chrétienne ; du reste, quand même le père donnerait sa parole pour la conversion de son fils, et quand même, Augustin lui verrait recevoir le baptême, Augustin ne voudrait pas s’engager sans que la jeune orpheline elle-même eût parlé.

Dans cette société qui se transformait, les relations se modifiaient selon les croyances ; on perdait et on retrouvait un ami d’après ses résolutions religieuses. Nous avons une lettre d’Augustin qui exprime des sentiments que bien des cœurs durent éprouver. Au temps de sa jeunesse, avant que la lumière chrétienne lui eût illuminé son âme, Augustin avait un ami appelé Martien ; celui-ci était resté païen ; il gardait un tendre souvenir du fils de Monique, toutefois la profonde diversité situation, vie ai morales rendait difficile une entière et complète intimité. Mais voilà que Martien prit

  1. Doct. chrét., liv. IV, ch. 24.