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chapitre trente-huitième.

sieurs fois répétée, ne put délier la langue d’Émerite, qui cacha sa défaite dans un silence obstiné. Augustin fit comprendre au peuple la signification de ce silence. Pour dissiper désormais toute ignorance, il recommanda à l’évêque catholique de Césarée de faire lire chaque année dans son église, durant le carême, les actes de la conférence de Carthage, comme cela se pratiquait dans beaucoup de villes d’Afrique, entre autres à Carthage, à Thagaste, à Constantine.

Alype fit ensuite lecture de la lettre que les évêques catholiques adressèrent au tribun Marcellin, avant la fameuse conférence, et dont nous avons rapporté les principaux passages. Augustin interrompit la lecture par un récit d’une naïveté touchante et d’une véritable grandeur morale. Avant la conférence de Carthage, l’évêque d’Hippone et quelques autres évêques, conversant entre eux, avaient été amenés à cette idée qu’on ne devait garder l’épiscopat que pour la paix de Jésus-Christ et le bien de l’église.

« Je vous avoue, dit Augustin au peuple de Césarée, qu’en songeant à chacun de nos collègues, nous n’en trouvions pas beaucoup qui fussent disposés à faire ce sacrifice d’humilité au Seigneur. Nous disions, comme cela se fait en pareil cas : Celui-ci en serait capable, celui-là reculerait ; un tel voudrait bien, un tel n’y consentirait jamais : en cela, nous suivions nos conjectures, ne pouvant pénétrer leurs dispositions intérieures. Mais quand on vint à le proposer dans notre concile général, qui était composé de près de trois cents évêques, tous l’agréèrent d’un consentement unanime, et s’y portèrent même avec ardeur, prêts à quitter l’épiscopat pour l’unité de Jésus-Christ, croyant non le perdre, mais le mettre plus sûrement en dépôt entre les mains de Dieu même. Deux seulement en conçurent de la peine : l’un, fort âgé, ne craignait pas de l’avouer ; l’autre laissa voir sur son visage ce qu’il pensait dans son cœur. Mais tous nos collègues s’étant élevés contre ce vieillard, il changea aussitôt de sentiment, et l’autre changea de visage. »

Cette unanimité dans une décision semblable était comme un généreux élan de l’âme, qui ne pouvait partir que de la vérité.

Émerite, demeuré muet malgré les instances de ses parents et les instances du peuple, avait par son silence condamné sa propre cause ; les liens de famille et d’amitié, la sécurité qu’il trouvait dans son propre pays, la douceur toute fraternelle de l’évêque d’Hippone, encourageaient Émerite à parler ; il laissa ruiner sans mot dire les fondements du donatisme, vit établir ou rectifier tous les faits qui prouvaient les torts et la déroute de son parti ; il n’eut rien à opposer à Augustin. Il porta ainsi, à son insu, un dernier coup aux donatistes de Césarée, et fortifia les nouveaux convertis. La charité sanctifia la victoire d’Augustin ; grâce à l’évêque d’Hippone, Émerite n’eut rien à souffrir pour expier son obstination. Nous ignorons quelle fut sa fin ; nous savons seulement qu’il resta longtemps caché.

La paix civile fut un des bienfaits qui marquèrent le passage d’Augustin à Césarée ; chaque année dans cette ville éclatait une guerre domestique dont l’origine et les motifs nous sont inconnus, et qui s’appelait l’attroupement[1]. À une époque déterminée, la cité formait deux partis ; de sanglantes luttes s’engageaient ; non-seulement des citoyens se battaient entre eux, mais des frères s’armaient contre leurs frères, des fils contre leurs pères ; la cité et la famille se déchiraient à la fois. Cette coutume, indigne de tout ce qui porte un visage d’homme, indigne surtout d’une population chrétienne, faisait saigner le cœur de l’évêque d’Hippone ; elle remontait à des temps éloignés ; on pouvait craindre que le mal ne fût difficile à guérir. Augustin, cependant, songea à délivrer Césarée d’un usage aussi barbare. Le peuple, rassemblé dans l’église, entendit cette douce et puissante voix lui parler de paix et d’amour, et dénoncer les horreurs étranges qui se renouvelaient tous les ans ; Augustin retraça cette coutume dans ses plus hideuses couleurs, montra les flots de sang répandus par des mains fraternelles ou filiales, fit comprendre l’effroyable caractère d’un combat que rien ne justifiait et qui était l’œuvre d’absurdes et atroces préjugés. Il donnait à sa parole toute la force, toute l’énergie possible, afin d’amener son auditoire à détester d’affreuses scènes.

« Ils m’interrompaient par des acclamations, dit l’évêque d’Hippone, mais je ne crus avoir fait quelque chose qu’au moment où je vis couler leurs larmes ; leurs acclamations témoignaient seulement qu’ils me comprenaient et m’écoutaient avec plaisir, mais leurs larmes me prouvèrent qu’ils étaient touchés. Je

  1. Catervam.