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chapitre trente-huitième.

autour de la majesté de son monument ; pour honorer l’homme, il lui laissa la mission de dissiper peu à peu ces ténèbres sacrées, à mesure que l’incrédulité attaquerait un des points de l’œuvre immortelle : l’hérésie est venue, et, par la parole des Pères de l’Église, le jour s’est fait de tous côtés ; le Verbe éternel leur donnait quelque chose de sa puissance ; les Pères de l’Église répandaient la lumière sur toutes les parties de la création morale. Disons donc avec l’Apôtre : Il faut qu’il y ait des hérésies[1], et revenons à Augustin portant les derniers coups à Pélage et à Célestius.

Le grand docteur était resté à Carthage après le concile du 1er mai. Il y passa tout l’été jusqu’au mois de septembre, époque de son départ pour Césarée. Durant ce temps il reçut de ses amis Pinien, Albine et Mélanie, une lettre au sujet d’un entretien que ces illustres et pieux Romains avaient eu en Palestine avec Pélage, à la fin de l’année 417. Augustin leur adressa une réponse qui forme les deux livres de la Grâce de Jésus-Christ et du Péché originel. Pélage, qui reculait souvent devant sa propre doctrine, avait dit à Pinien :

« J’anathématise celui qui pense ou qui dit que la grâce de Dieu, par laquelle le Christ est venu sauver les pécheurs en ce monde, n’est pas nécessaire, non-seulement pour chaque heure et pour chaque moment, mais encore pour chacun de nos actes. Que ceux qui s’efforcent de détruire cette grâce soient condamnés aux peines éternelles. »

Ces paroles paraissaient fort suspectes à Augustin ; il pensait qu’il fallait juger Pélage non point sur des aveux arrachés par l’argumentation catholique, mais sur les ouvrages qu’il avait envoyés à Rome, et qui étaient le produit réfléchi de sa pensée. Or, Pélage ne vit jamais dans la grâce que la faculté de choisir et la connaissance de la loi. Augustin cite des fragments de l’ouvrage de Pélage sur le Libre Arbitre, qui établissent cette doctrine en termes formels. Il démontre ensuite qu’autre chose est la loi et autre chose la grâce, et développe les caractères de la vraie grâce chrétienne. Il venge saint Ambroise des louanges que lui donnait Pélage en l’invoquant à l’appui de son erreur, et cite les paroles de l’évêque de Milan, tirées de son second livre de l’Exposition de l’Évangile selon saint Luc :

« Vous voyez que partout la vertu du Seigneur se mêle aux efforts humains ; personne ne peut édifier sans le Seigneur, garder sans le Seigneur, et rien commencer sans le Seigneur. Or c’est pourquoi, selon l’Apôtre, soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites toutes choses pour la gloire de Dieu. »

Augustin reproduit d’autres paroles du grand Ambroise.

Pélage distinguait trois choses par lesquelles s’accomplissaient les commandements de Dieu la possibilité, la volonté, l’action. Avec la première, l’homme peut être juste ; avec la seconde, l’homme veut être juste ; avec la troisième, l’homme devient juste. Augustin soutient avec saint Paul que c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire[2]. Les lettres de Pélage à saint Paulin, à l’évêque Constantius, à la vierge Démétriade, sont conformes à ses quatre livres du Libre Arbitre pour la négation de la grâce qui justifie.

Dans le deuxième livre sur le Péché originel, Augustin fait voir que les Pélagiens n’osaient pas refuser aux enfants le bain de régénération et de la rémission des péchés, parce que les oreilles chrétiennes ne l’auraient point supporté, mais qu’ils ne croyaient pas au péché originel transmis par la génération charnelle. Le docteur cite un fragment des actes de l’assemblée de Carthage où fut jugé Célestius ; interrogé par Aurèle sur le péché du premier homme, Célestius ne voulut jamais croire que la rébellion d’Adam eût blessé le genre humain tout entier. Le saint évêque retrouve la même erreur de Célestius dans sa profession de foi adressée au pape Zozime. Il raconte comment Zozime condamna Célestius, et comment il enveloppa dans le même anathème Pélage, malgré ses efforts pour tromper le siège apostolique. Un examen détaillé de la défense de Pélage ne montre à Augustin que de la justice dans l’arrêt qui a frappé le moine breton.

Les pélagiens, pour effacer sur leur front la tache d’hérésie, avaient imaginé de soutenir que la question du péché originel n’était pas une question de foi. Augustin leur met sous les yeux quelques exemples de questions qui sont du pur domaine des opinions humaines, ce qu’était, où était le Paradis terrestre, où Dieu plaça le premier homme ; en quel lieu ont été transportés Elie et Énoch ; comment saint Paul a été élevé au troisième ciel ; combien il y a de cieux ; combien d’éléments dans

  1. Oportet et hæreses esse.
  2. Velle et perficere. Aux Philip. II, 12.