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histoire de saint augustin.

sur ce préfet du prétoire ; saint Jérôme, dans une lettre qu’il lui écrivait en 414, l’appelle le plus noble des chrétiens et le plus chrétien des nobles, et nous verrons tout à l’heure avec quelle profonde estime Augustin parle à Dardanus. D’un autre côté, Sidoine Apollinaire, qui avait pu voir de près sa vie et sa personne, nous présente Dardanus comme réunissant tous les vices des divers oppresseurs des Gaules au temps d’Honorius. Il lui prête la légèreté de Constantin, la faiblesse de Jovien, la perfidie de Géronce[1]. La première pensée qui s’offre à l’esprit, c’est qu’Augustin et Jérôme n’avaient connu Dardanus que par sa correspondance, et que Sidoine Apollinaire l’avait connu par ses œuvres. Mais peut-être faudrait-il prendre un milieu entre les malédictions de Sidoine et les magnifiques louanges des deux docteurs de l’Église. Les hommes qui ont le pouvoir sont soumis à des jugements divers, et le temps ou nous sommes ne laisse ignorer à personne combien sont passionnées les inspirations des partis. Sidoine a pu écrire sous des impressions qui n’étaient pas entièrement conformes à l’équité.

Quoi qu’il en soit, dans la haute Provence, non loin de Sisteron, un peu au-dessous de Chardavon, aux lieux où s’élevait la ville de Théopolis, il est un rocher, appelé par les gens du pays peira escricha (pierre écrite), qui offre en l’honneur de Dardanus une inscription romaine. Cette inscription, la plus considérable que les Romains aient laissée dans les Gaules, et plusieurs fois reproduite avec inexactitude[2], est un monument de la reconnaissance publique de Théopolis. Voici le sens de l’inscription tel que Millin[3] l’a donné :

« Claudius Posthumus Dardanus, homme illustre, revêtu de la dignité de patrice, ex-gouverneur consulaire de la province viennoise, ex-maître des requêtes, ex-questeur, ex-préfet du prétoire des Gaules, et Nevia Galla, femme clarissime et illustre, son épouse, ont procuré à la ville appelée Théopolis l’usage des routes, en faisant tailler des deux côtés les deux flancs de ces montagnes, et lui ont donné des portes et des murailles. Tout cela a été fait sur leur propre terrain ; mais ils l’ont voulu rendre commun pour la sûreté de tous. Cette inscription a été placée par les soins de Claudius Lepidus, comte et frère de l’homme déjà cité, ex-consulaire de la première Germanie, ex-maître du conseil des mémoires, ex-comte des revenus particuliers de l’empereur, afin de pouvoir montrer leur sollicitude pour le salut de tous, et d’être un témoignage écrit de la reconnaissance publique. »

Dans ces temps où l’interprétation des Écritures était une si grande affaire pour les peuples chrétiens, Dardanus interrogea l’évêque d’Hippone sur les paroles de Jésus-Christ adressées au bon larron : Vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis, et sur la signification du tressaillement de Jean aux entrailles maternelles en présence du Sauveur du monde caché dans les flancs de Marie. Augustin resta assez longtemps sans répondre aux questions du préfet des Gaules : « Bien-aimé frère Dardanus, dit l’évêque au début de sa lettre, plus illustre pour moi dans la charité du Christ que dans les dignités de ce siècle, j’avoue que j’ai répondu trop tard à votre lettre. Je ne voudrais pas que vous en cherchassiez les causes, de peur que vous ut supportassiez plus difficilement mes longues excuses que vous n’avez supporté mes longs retards. J’aime mieux vous voir accorder mon pardon que juger ma défense. Quelle qu’ait pu être la cause de ce retard, croyez bien qu’il n’a pu entrer en moi aucun dédain de ce qui vous touche. Je vous aurais répondu promptement, si je vous avais cornu pour peu. Ce n’est pas que je croie être parvenu à écrire quelque chose de digne d’être lu par vous et de vous être adressé ; mais j’ai mieux aimé vous écrire que de passer encore cet été sans payer ma dette. Je n’ai ni tremblé ni hésité en présence de votre rang si haut ; votre bienveillance m’est plus douce que votre dignité ne m’est redoutable. Mais ce qui fait que je vous aime fait aussi que je trouve difficilement de quoi suffire à l’avidité de votre religieux amour. »

La première des deux questions amène Augustin à traiter de la présence de Dieu ; il déploie dans ce sujet une grande richesse d’idées et cette étonnante pénétration qui semble lui donner un sens de plus pour comprendre les

  1. Cura in Constanaino inconstantiam, in Joviano facilitatem, in Gerontio perfidiam, singula in singulis, omnia in Dardano crimina simul execrarentur Sidon. Apollin, v. 9.
  2. M. Honorat de Digne, fort versé dans la science historique, a reproduit l’inscription de Chardavon dans toute sa physionomie actuelle ; personne avant lui n’avait donné l’inscription avec une aussi complète exactitude. M. Honorat l’a pariée aven un commentaire critique dans les Annales des Basses-Alpes, tome Ier, p. 361 et suiv.
  3. Voyage dans les départements du midi de la France, t. III.