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chapitre trente-sixième.

sance, l’amour ont chacun une sorte d’existence relative, mais ils constituent un ensemble inséparable, une unité d’essence. À chaque vérité que nous apercevons, à chaque sentiment qui nous saisit, nous engendrons en nous la Parole ou le Verbe ; l’amour unit et serre dans un embrassement spirituel le Verbe et l’intelligence de qui il est engendré. La parole est égale à l’esprit qui l’enfante, et l’amour qui les lié est égal à tous les deux.

Mais l’esprit de l’homme offre à l’évêque d’Hippone une autre image de la Trinité, qu’il juge plus claire encore que la précédente ; c’est le sujet du dixième livre. Dans le dixième chapitre de ce livre, nous retrouvons l’évidence intime comme base de la certitude, et cette doctrine cartésienne dont Augustin est l’inventeur et le père. L’homme, dit ce grand docteur, sait qu’il existe, qu’il vit, qu’il comprend… On a accumulé les systèmes sur la nature de l’âme, « mais, dit l’évêque d’Hippone, qui peut mettre en doute sa vie, son souvenir, son intelligence, sa volonté, sa pensée, sa science, son jugement ? et lors même qu’il doute, il vit : s’il doute de son doute, il se souvient ; s’il doute, il comprend qu’il doute ; s’il doute, c’est qu’il aspire à la certitude ; s’il doute, il pense ; s’il doute, il sait qu’il ne sait pas ; s’il doute, il juge qu’on ne doit pas donner sans raison son assentiment. Le doute même suppose que quelque chose existe. L’esprit est donc forcément certain de lui-même. »

Le docteur découvre ensuite une image de la Trinité dans la mémoire, l’intelligence et la volonté qui au fond ne sont qu’une seule vie, un seul esprit, une seule essence. Comprendre, vouloir et se souvenir, c’est un même acte, une même pensée. Ainsi la connaissance de l’homme intérieur aide à pénétrer dans la mystérieuse nature divine, à l’image de laquelle il a été créé. Augustin nous fait remarquer aussi dans l’homme extérieur des traces de la Trinité ; le onzième livre renferme les développements de ces nouveaux aperçus. L’investigateur du plus grand des mystères reconnaît trois choses dans l’action de voir, l’objet qui est vu, la vision ou le regard qui n’existait pas auparavant, l’intention de l’esprit. Le corps visible, le regard et la volonté de voir sont trois choses de natures différentes, mais qui se confondent dans une sorte d’unité. Revenant à l’homme intérieur, Augustin expose comment la trinité de la mémoire, de la vision interne et de la volonté, forme l’unité de la pensée[1].

Mais le grand docteur, au douzième livre, ne veut reconnaître comme parfaite image de Dieu et de la Trinité que cette portion de notre intelligence qui, pour refléter la Trinité, n’a pas besoin de l’action des choses temporelles et s’élance d’elle-même à la contemplation de ce qui est éternel. Il repousse, comme étant contraire à l’Ecriture, l’image de la Trinité, représentée par la réunion de l’homme, de la femme et de l’enfant. C’est l’homme qui a été créé à l’image de Dieu, et non pas la famille. L’examen des phénomènes de la pensée amène Augustin à se prononcer contre les réminiscences de Pythagore et de Platon ; Platon, ce noble philosophe, ainsi que l’appelle l’évêque d’Hippone, rapportait qu’un enfant, interrogé sur je ne sais quelle question de géométrie, répondit comme s’il eût été versé dans cette science ; interrogé par degrés et avec art, cet enfant voyait ce qu’il fallait voir, et disait ce qu’il avait vu. Si les réponses de l’enfant, observe Augustin, avaient été le souvenir de choses connues autrefois, chacun pourrait en faire autant ; or, tous n’ont pas été géomètres dans une première vie, ajoute le grand évêque, puisqu’au contraire il s’en rencontre si peu dans le genre humain. La merveille de l’enfant dont parle Platon peut s’expliquer par une organisation riche et privilégiée. De nos jours, on a vu des prodiges de ce genre[2], supérieurs très-probablement à l’exemple que citait Platon, et personne n’a eu l’idée d’attribuer ces étonnantes aptitudes à des souvenirs d’une autre vie. Pythagore, dit-on, se rappelait ce qu’il avait éprouvé lorsqu’il habitait un autre corps, mais de pareilles réminiscences ne sont que des illusions de la nature des songes.

Le treizième livre, après nous avoir conduits à travers les dogmes fondamentaux de la foi, nous fait remarquer des trinités dans la science.

Le quatorzième livre revient sur une distinction déjà faite entre la science et la sagesse : la science est la connaissance des choses humaines, la sagesse est la connaissance des choses divines. Retenir, contempler, aimer la foi, cette trinité de quelque chose qui appartient au temps ne saurait être regardée par

  1. Quæ tria cum in unum coguntur, ab ipso coactu cogitatio dicitur. Lib. xi, cap. 3.
  2. L’enfant de la Sicile, Vito Mangiamele, trouvait en quelques minutes la solution de problèmes pour lesquels M. Arago avait besoin de travailler longtemps.