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histoire de saint augustin.

geoise vit sortir du sépulcre vide des tiges de rosiers chargés de roses vierges, ainsi nommées, parce qu’elles n’étaient qu’à demi écloses. Tel fut le rêve de la pieuse veuve.

Là-dessus Évode demande à Augustin ce que devient l’âme en se détachant du corps grossier, et si elle ne s’unit point à quelque corps subtil, qui tienne de la nature de l’air : sans un corps qui la fasse reconnaître, l’âme pourra-t-elle être distinguée d’une autre âme ? et comment Lazare sera-t-il distingué du mauvais riche ? Évode voudrait savoir si l’âme séparée du corps conserve quelques-uns des sens que nous avons dans cette vie. Enfin, il presse le grand évêque de lui communiquer sa pensée sur les visions et les apparitions, sur les morts qui viennent, à certaines heures de la nuit, visiter leurs amis ou leurs proches. L’évêque d’Uzale dit que de saints personnages du monastère d’Hippone, tels que Profuturus, Privat et Servilius, lui ont parlé à lui-même depuis leur mort, et lui ont annoncé des choses qui se sont accomplies.

Augustin[1] trouve fort difficile la solution des questions proposées par Évode. Il ne pense pas que l’âme sorte de ce monde avec un corps, quelque subtil qu’on l’imagine[2]. Les apparitions nocturnes lui paraissent aussi inexplicables que les fonctions mêmes de notre intelligence. Il cite le douzième livre de son ouvrage sur la Genèse, comme renfermant des faits curieux en ce genre.

Augustin raconte ensuite une histoire fort extraordinaire arrivée à un médecin de ses amis, appelé Gennadius, qui, après avoir exercé son art à Rome avec éclat, demeurait alors à Carthage. Ce médecin, avant de s’élever à la piété chrétienne, avait passé par le doute au temps de sa jeunesse : il avait mis en question la vie future. Tandis qu’il était travaillé par ces doutes, Gennadius vit en songe un beau jeune homme qui lui dit : Suivez-moi. Gennadius se mit donc à le suivre ; arrivé dans une cité inconnue, il entendit tout à coup les plus ravissantes harmonies qui eussent jamais frappé son oreille. Il demanda au mystérieux jeune homme d’où partaient ces ineffables concerts, et celui-ci lui répondit : Ce sont les hymnes des saints et des bienheureux. Gennadius s’éveilla, le songe s’évanouit. La nuit suivante, le même jeune homme apparut à Gennadius et lui demanda s’il le reconnaissait, dans quel lieu il l’avait vu et si c’était dans un rêve ou dans le réveil : le médecin répondit avec exactitude aux trois questions. Il eut le sentiment de son rêve dans sa conversation avec le jeune visiteur, reconnut que son corps était dans son lit, et que ses yeux corporels étaient en ce moment fermés et immobiles. — Avec quels yeux me voyez-vous donc maintenant ? lui dit le jeune homme. Gennadius hésitait à répondre.

« De même, reprit alors le radieux adolescent, de même qu’en cet instant où vous êtes endormi dans votre lit, pendant que vos yeux sont clos, vous avez d’autres yeux par lesquels vous me voyez ; de même après votre mort, quoique les yeux de votre chair ne fassent plus rien, il vous restera la vie et la puissance de sentir. Gardez-vous désormais de douter de la vie après la mort. »

C’est ainsi que la foi naquit au cœur de Gennadius. La leçon du visiteur mystérieux pourrait servir à d’autres. Ce raisonnement si simple est de nature à frapper les plus vulgaires intelligences.

Le zèle de la vérité poussait Augustin à ne laisser sans réponse aucune des lettres où étaient posées des questions de philosophie ou de religion ; cette perpétuelle nécessité de répondre à tout promenait son esprit d’un sujet à un autre et l’arrachait à ses grandes œuvres. Il le fit sentir à l’évêque d’Uzale, qui, en diverses lettres, avait multiplié les difficultés à résoudre. Évode, pour mettre Augustin à son aise, l’engageait à des réponses rapides, mais Augustin lui dit qu’il ne peut pas empêcher que ses lettres ne soient recherchées ; trop de gens les lisent, pour qu’il ne prenne pas garde à ce qu’il écrit ; il est donc forcé d’y consacrer un temps suffisant. Il fallait la prodigieuse bienveillance de l’évêque d’Hippone pour adoucir le supplice d’être chaque jour détourné de tant de travaux importants. « Si, lorsque j’ai quelque chose sous la main, dit saint Augustin[3] à Exode, je dois l’interrompre pour passer à de nouvelles questions qui m’arrivent, que dois-je faire, quand surviennent des questions nouvelles au montent où je suis occupé à répondre aux dernières ? Vous plaît-il que j’écarte celles-ci pour prendre

  1. Lettre 159.
  2. Cette opinion de saint Augustin est contraire à la proposition de Leibnitz sur la conservation des âmes après la mort dans des infiniment petits immortels, et aux sentiments de Bonnet dans sa Palingénésie philosophique.
  3. Lettre 162.