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chapitre trentième.

de la charité est dans les profondeurs divines c’est là sa profondeur. La figure de la croix est une expression du mystère de la charité de Jésus-Christ, charité qui passe toutes nos pensées. Le choix de la croix comme instrument de son supplice a eu pour motif de nous remettre devant les yeux cette largeur, cette longueur, cette hauteur et cette profondeur dont nous parlons. Augustin indique le sens mystérieux de ces quatre parties de la croix.

Enfin, pour répondre à la dernière question d’Honoré, le grand évêque dit que la créature raisonnable ne doit pas se laisser aller aux louanges des hommes, de peur de ressembler aux vierges folles ; elle doit plutôt imiter les vierges sages dont toute la gloire, à l’exemple de l’Apôtre, est dans le témoignage de leur conscience. Telle est la signification de l’huile que les vierges sages portent avec elles, tandis que les folles sont réduites à en acheter de ceux qui font profession d’en vendre, c’est-à-dire des flatteurs, car leurs louanges sont comme une huile dont ils trafiquent et qu’ils vendent aux insensés. Les lampes ardentes dans les mains de ces vierges sont les bonnes œuvres qui, selon la parole de Jésus-Christ, doivent luire aux yeux des hommes, afin qu’ils glorifient notre Père céleste. C’est cette glorification de Dieu que cherchent les vierges sages dans leurs bonnes œuvres. Leurs lampes ne s’éteignent point, parce qu’une huile abondante en nourrit la flamme : cette huile représente l’intention pure d’une bonne conscience. Les lampes des vierges folles s’éteignent à chaque moment faute d’huile, c’est-à-dire que leurs bonnes œuvres cessent de luire dès que les louanges des hommes leur manquent, parce que le motif de leurs œuvres, c’est le désir d’être agréable aux hommes et non pas de rendre gloire à Dieu.

Dans la dernière partie de cette lettre, la manière dont Augustin parle des ennemis de la grâce mérite d’être citée. Les pélagiens gardaient encore de saintes apparences ; l’évêque d’Hippone croyait à leurs vertus.

« La grâce de la nouvelle alliance a des ennemis qui, troublés par la profondeur de ce mystère, veulent attribuer plutôt à eux-mêmes qu’à Dieu ce qu’il y a de bon en eux. Ce ne sont pas des hommes que vous puissiez « aisément mépriser : ils vivent dans la continence et se recommandent par leurs œuvres : ils n’ont pas une fausse idée du Christ comme les manichéens et d’autres hérétiques ; ils croient que le Christ est égal et coéternel au père ; qu’il s’est véritablement fait homme et qu’il est venu ; ils attendent son second avènement ; mais ils ignorent la justice de Dieu et ont voulu établir leur propre justice. »

Tout ce qui peut révéler le caractère d’Augustin est pour nous d’un grand prix ; nous l’écoutons avec bonheur quand il parle de lui ; chaque mot est comme une couleur qui nous sert à retrouver son portrait, et l’évêque d’Hippone est de ces rares génies qu’on admire et qu’on aime davantage à mesure que leur physionomie se dégage des nuages du passé. La lettre[1] à Marcellin, écrite en 412, est un des monuments où Augustin nous initie aux secrets de sa haute nature. Le tribun son ami lui avait proposé quelques difficultés auxquelles l’évêque répond ; une de ces difficultés était tirée d’un passage du traité du Libre arbitre, où le grand docteur dit que l’âme, attachée à une nature fort au-dessous de la sienne, c’est-à-dire à la nature corporelle, ne gouverne pas tout à fait son corps comme elle le voudrait, mais qu’elle est soumise, dans le gouvernement du corps, aux lois générales de l’ordre établi de Dieu. D’après ce passage, on prétendait qu’Augustin avait pris parti pour une des quatre opinions sur l’origine de l’âme. L’évêque d’Hippone fait voir qu’il s’est tenu dans une égale mesure à l’égard de ces diverses opinions, et qu’il a eu raison de dire que l’âme, depuis le péché, ne gouverne pas son corps comme elle voudrait. À ce sujet, ce grand homme parle de lui et de ses travaux avec une modestie sincère dont on ne peut qu’être frappé. Un tel langage nous découvre les trésors d’humilité de ce merveilleux génie.

Augustin, d’après ses propres aveux, écrivait à mesure qu’il profitait et profitait à mesure qu’il écrivait. Il ne veut pas qu’on soit surpris ou affligé de trouver des fautes dans ses écrits, et demande qu’on lui sache gré de les reconnaître. Celui-là s’aimerait d’un amour bien désordonné, qui, pour cacher ses erreurs, laisserait errer les autres. Le grand docteur confie à Marcellin un dessein qu’il mettra plus tard à exécution, c’est de publier une revue critique de ses ouvrages. Il supplie tous ses amis de ne pas le défendre contre ceux qui croient devoir te censurer, et surtout de ne pas soutenir qu’il ne s’est jamais trompé : « Vous

  1. Lettre 143.