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chapitre vingt-huitième.

quelle il n’y a ni piété ni bonne vie, il reste, à pénétrer tant de choses obscurcies par les ombres des mystères ; une si profonde sagesse est cachée, non-seulement dans les paroles des Écritures, mais encore dans ce qu’elles expriment, que les esprits les plus pénétrants, les plus désireux d’apprendre, et qui ont passé le plus d’années à cette étude éprouvent la vérité de ce mot de l’Ecclésiastique : Lorsque l’homme croira avoir fini, il ne fera que commencer[1]. »

Augustin reprend ensuite une à une toutes les questions. Dieu, en se faisant homme, n’a pas pour cela abandonné le gouvernement de l’univers ; il n’en a pas transporté le soin dans le corps qu’il a revêtu. Ce sont là des conceptions grossières. Quand on dit que Dieu remplit l’immensité, ce n’est pas à la façon de la lumière, de l’air ou de l’eau. Il est partout, sans qu’aucun lieu le contienne ; il vient sans sortir d’où il était ; il s’en va sans sortir d’où il vient. Si l’homme ne comprend pas son Dieu, s’il le méconnaît, qu’il se considère lui-même. L’âme ne vit que dans son corps, et pourtant elle sent ce qui est hors de son corps. Nous voyons les astres semés dans le ciel si loin de nous ; or, voir n’est-ce pas sentir ? Faudra-t-il dire pour cela que l’âme est dans le ciel aussi bien que dans son corps, ou qu’elle sent au delà du lieu où elle vit ? Voilà déjà un mystère que nous offre le sens de la vue. Il en est de même de l’ouïe, qui entend du bruit au loin, et qui nous fait vivre en quelque sorte là où nous ne sommes pas. Que sera-ce si nous réfléchissons à l’action de notre âme, intelligence pure qui s’élance à travers l’infini ? Pouvons-nous alors trouver incroyable que le Verbe divin ait pris un corps semblable au nôtre, sans rien perdre de son immortalité et de sa nature éternelle, sans déchoir de sa puissance, sans abandonner le soin et le gouvernement de l’univers, sans sortir du sein de son père, c’est-à-dire de cette lumière inaccessible où il habite en lui et avec lui ? Ce Verbe, cette parole ineffable de Dieu, gardez-vous de la concevoir comme une parole qui passe.

Le Verbe de Dieu demeure ce qu’il est ; il est tout entier partout. Dire qu’il vient ou qu’il s’en va, c’est dire qu’il se montre ou qu’il se cache ; visible ou caché, il est toujours présent comme la lumière est présente aux yeux d’un aveugle aussi bien qu’aux yeux d’un homme clairvoyant, comme la même voix est présente aux oreilles d’un sourd aussi bien qu’aux oreilles d’un homme qui entend. La parole humaine demeure ainsi entière ; elle est entendue d’une seule personne, comme de deux personnes, comme d’une multitude, sans que le son de la voix se partage entre tous et se distribue à la manière de l’argent ou de la nourriture. Pourquoi donc le Verbe de Dieu, qui subsiste éternellement, ne serait-il pas à l’égard de toute chose ce qu’est à l’égard des oreilles la parole fugitive de l’homme ?

Le peu d’étendue du corps de Jésus-Christ enfant ne doit donc pas nous faire craindre qu’une aussi grande majesté que celle de Dieu y ait été resserrée ; la grandeur de Dieu n’est pas une grandeur d’étendue, mais de vertu et de puissance ; aussi s’est-il plu à faire éclater ses merveilles dans les plus petites choses. Sa providence-n’a-t-elle pas donné un sentiment plus exquis aux fourmis et aux abeilles, qu’aux ânes et aux chameaux ? N’a-t-elle pas donné à un aussi petit organe que la prunelle la vertu de parcourir en un moment la moitié du ciel ? C’est cette puissance qui a fait sortir le corps d’un enfant du sein de Marie, sans porter atteinte à sa virginité, comme plus tard elle fit entrer dans le cénacle, les portes fermées, ce même corps devenu grand.

L’Homme-Dieu, en se soumettant à toutes nos infirmités, a voulu prouver qu’il était véritablement homme, ce qui n’a pas empêché les opinions hérétiques contre sa nature humaine. Dieu a élevé l’homme jusqu’à lui, mais sans sortir de lui-même et sans cesser d’être ce qu’il est. Ceux qui demandent raison de ce mystère devraient nous expliquer auparavant notre propre nature. De même que la personne d’un homme est l’union d’une âme et d’un corps, de même la personne du Christ est l’union d’un Dieu et d’un homme. La première merveille s’accomplit tous les jours pour multiplier le genre humain ; la seconde s’est accomplie une seule fois pour le sauver. Le Verbe de Dieu est venu instruire les hommes en confirmant les paroles des prophètes, en confirmant aussi ce que les philosophes et les auteurs païens avaient dit de vrai. Les hommes étaient tourmentés du désir d’arriver à Dieu, mais ils avaient imaginé l’entremise et le culte des puissances aériennes, des démons qui se faisaient passer pour anges de lumière. Jésus-Christ leur enseigna qu’on pouvait aller à Dieu

  1. Ecclésiastique, XVIII, 6.