Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
histoire de saint augustin.

communiqua l’offre de Pinien, à laquelle l’époux de Mélanie devait ajouter l’autorité d’un serment. Le peuple, qui voulait avoir Pinien pour prêtre, ne se trouva point satisfait ; après une consultation de quelques instants, les chefs de la sédition demandèrent que Pinien promît d’entrer dans l’Église d’Hippone, si jamais il se décidait à accepter le sacerdoce. Augustin retourne auprès de Pinien, et lui propose cette seconde condition ; Pinien y consent. Augustin le déclare au peuple, qui se montre content. Il ne restait plus que la question du serment. Il y eut des pourparlers entre Augustin et Pinien, qui souhaitait qu’on précisât des circonstances, comme celle d’une invasion-ennemie, où il lui serait permis de quitter Hippone ; Augustin lui fit observer que ce motif pourrait paraître au peuple le présage de quelque calamité ; qu’en cas d’invasion, chacun s’en irait d’Hippone, et qu’il serait mieux de ne pas en parler. Mélanie, qui était là, crut qu’il fallait prévoir le cas des maladies pestilentielles ; Pinien lui imposa silence sur ce point. On convint d’ajouter au serment de rester à Hippone ces mots : si ce n’est en cas de besoin, quoique l’évêque prévût que cette précaution serait considérée par le peuple comme un faux-fuyant destiné à le tromper.

En effet, la promesse de Pinien, dont un diacre donna lecture à haute voix, fut accueillie avec ravissement jusqu’à ces mots : si ce n’est en cas de besoin, d’où sortit un nouvel orage. Pinien ramena le calme par la suppression de ces paroles. Accompagné d’Augustin, il s’approcha du peuple, et dit qu’il s’obligeait par serment à l’exécution de la promesse que le diacre avait récitée ; il en répéta solennellement les termes. Le peuple répondit : Dieu soit béni, et demanda que Pinien signât sa promesse. On fit sortir les catéchumènes, et Pinien signa. Quelques fidèles exprimèrent au nom du peuple le désir que les deux évêques, Augustin et Alype, signassent aussi. Au moment où Augustin commençait à écrire son nom, Mélanie s’y opposa ; la signature de l’évêque d’Hippone demeura inachevée ; personne n’insista pour en obtenir davantage.

C’est ainsi que les choses se passèrent. Augustin les raconta avec de longs détails, en y joignant les discours du peuple, dans un mémoire adressé à Albine ; ce mémoire ne nous est point parvenu ; nous avons composé notre récit avec les faits indiqués dans une lettre[1] de l’évêque d’Hippone à la belle-mère de Pinien, qui prit fort mal cette aventure. Albine, trompée par des rapports inexacts, croyait qu’Augustin avait provoqué le serment ; elle croyait aussi qu’une infâme cupidité avait poussé le peuple à ce mouvement.

Augustin, dans sa lettre, disait à Albine que le serment s’était fait en sa présence, mais qu’il ne l’avait pas provoqué ; que rien de semblable à la cupidité n’avait inspiré le peuple, puisqu’il ne pouvait participer aux trésors dont il aurait plu à Pinien d’enrichir l’Église d’Hippone, et qu’en définitive ces clameurs n’avaient eu pour but que l’œuvre de Dieu, car la consécration d’un prêtre est toujours une œuvre de Dieu ; ce n’est point l’argent de Pinien, c’est son mépris pour l’argent qui touchait le peuple d’Hippone. Ce même peuple s’était réjoui de posséder un évêque qui, en entrant au service de Dieu, renonça à sa part d’héritage paternel ; c’étaient quelques arpents de terre. Augustin les donna à l’Église de Thagaste, son lieu natal, et les fidèles d’Hippone n’envièrent pas ce petit domaine. La pauvreté de Jésus-Christ paraissait aimable et pure, surtout dans Pinien, si comblé de richesses ; Augustin, évêque d’Hippone, après avoir tout quitté, a l’air d’être opulent ; le patrimoine auquel il a renoncé n’égale pas la vingtième partie du bien de l’Église dont on le regarde comme seigneur. Mais placez Pinien à la tête d’une Église en Afrique, quelle qu’elle soit, il sera toujours pauvre en comparaison des biens avec lesquels il est né. Il y avait sans doute des pauvres parmi ceux qui demandaient Pinien pour prêtre, et ceux-là espéraient tirer de la pieuse famille romaine quelque soulagement à leur indigence : mais est-ce là ce qu’on peut appeler de la cupidité ? On aime à voir Augustin prendre ainsi la défense de son peuple et le venger d’un odieux soupçon.

Du moment que le peuple d’Hippone n’a rien à voir aux trésors de Pinien, le soupçon de cupidité ne peut plus atteindre que le clergé et principalement l’évêque ! Augustin est admirable de douceur, lorsqu’il oppose à ces soupçons le désintéressement de son âme, pleinement connu de Dieu seul ; lorsqu’au lieu de se plaindre, il ne songe qu’à guérir le cœur d’Albine, ce cœur malade, qui s’était laissé surprendre par des pensées injurieuses.

  1. Lettre 126.