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chapitre vingt-sixième.

année du règne d’Arcadius, effrayantes menaces qui, en quelques heures, multiplièrent les chrétiens, et que le docteur considère comme de grandes leçons pleines de miséricorde, car la ville, un moment abandonnée par les habitants et l’empereur, ne souffrit aucun dommage. Il termine par un éloquent rapprochement entre les souffrances de Rome et les souffrances du Christ, le roi des rois et le maître des dominateurs.

C’est ainsi que l’Église consolait alors les nations aux jours des désastres ; il faut avouer qu’elle avait seule le secret de se faire doucement écouter du genre humain.

Augustin passa à Carthage les derniers mois de l’année 410. Les plus grands intérêts de l’Église d’Afrique pouvaient seuls le retenir loin d’Hippone, à une époque où les progrès des Barbares inquiétaient son cher troupeau. Il ne revint au milieu des siens qu’au commencement de l’hiver, et trouva le peuple d’Hippone abattu et travaillé par des méchants qui voulaient le soulever contre son pontife[1]. Pinien, fils de Sévère, préfet de Rome, sa femme Mélanie et sa belle-mère Albine, illustres personnages romains, venus de la Sicile pour voir Augustin, étonnaient alors les fidèles de Thagaste par le spectacle de leur ferveur chrétienne et de leur humilité profonde. Ils avaient enrichi de plusieurs dons magnifiques l’église de Thagaste et fondé deux monastères, dont l’un renfermait quatre-vingts religieux, l’autre cent trente vierges. Le saint évêque aurait bien voulu se mettre en route pour prendre part à la joie religieuse de la ville où il était né. Au commencement de 441, il écrivait aux illustres et pieux voyageurs que le froid de l’hiver, intolérable pour sa santé débile, ne lui avait pas permis d’aller à Thagaste, que les pluies lui interdisaient maintenant ce voyage, et que pourtant, malgré le froid et les torrents, il volerait vers sa cité natale si les tribulations et les tristesses de son peuple ne lui faisaient pas un impérieux devoir de rester à Hippone.

Pinien et Mélanie, impatients devoir l’homme dont le nom remplissait le monde chrétien, se rendirent eux-mêmes de Thagaste à Hippone, et ce voyage devint un sujet de troubles pour Augustin. Voici cette affaire.

Le fils de Sévère, assistant à la célébration dessaints mystères dans l’église d’Hippone, fut reconnu par le peuple. Tout à coup la multitude voulut avoir Pinien pour prêtre, et sollicita à grands cris son ordination. Augustin, descendu de son siège, déclara au peuple qu’il n’ordonnerait point Pinien malgré lui ; et que si les fidèles trouvaient moyen d’avoir Pinien pour prêtre contre son consentement, ils n’auraient plus Augustin pour évêque. Après ces mots, Augustin retourna à son siège. Un moment déconcertée par la déclaration de l’évêque, la multitude recommença ses bruyantes instances, ajoutant que si Augustin refusait d’ordonner Pinien, un autre évêque l’ordonnerait. Augustin répondit à ceux dont il était entouré, qu’il avait promis à Pinien de ne pas l’élever au sacerdoce malgré lui, qu’il était le maître dans son église, et que nul évêque n’avait le droit de l’ordonner prêtre dans l’église d’Hippone sans son autorisation.

Cependant les cris redoublaient, et le saint évêque ne savait plus quel parti prendre. L’évêque de Thagaste, le vénérable Alype, vieil ami d’Augustin, était présent ; des injures éclatèrent contre lui ; on l’accusait sans doute de vouloir garder Pinien pour son église de Thagaste, afin de profiter de son opulence. Les inquiétudes d’Augustin étaient vives ; dans le but d’épargner une profanation du lieu saint par quelque crime, il avait songé à se retirer ; mais il craignait que la multitude échauffée, n’étant plus retenue par sa présence, ne se portât plus facilement à des violences ; il se détermina à rester. Qui sait, du reste, si quelque furieux n’aurait pas osé mettre la main sur Alype, pendant que les deux évêques auraient traversé la foule pour sortir ? Augustin souffrait beaucoup au milieu de ces horribles clameurs, lorsqu’un moine l’aborda de la part de Pinien ; celui-ci désirait annoncer au peuple que si on l’ordonnait prêtre malgré lui, il quitterait l’Afrique. Augustin ne pensait pas que cette déclaration fût de nature à produire un bon effet ; il alla lui-même trouver Pinien, et reçut la promesse que l’époux de Mélanie demeurerait à Hippone, pourvu qu’on ne le forçât point d’entrer dans la cléricature.

Augustin espéra que cette promesse dissiperait la tempête ; il en fit part à son ami Alype ; celui-ci, ne voulant prendre aucune responsabilité dans une décision qui pouvait déplaire à Albine, belle-mère de Pinien, supplia qu’on ne le consultât point là-dessus. Alors l’évêque d’Hippone se tourna vers le peuple, fit signe qu’il voulait parler, et, au milieu du silence,

  1. Lettre 134, à Pinien.