Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
histoire de saint augustin.

en reproduirons l’esprit dans une rapide analyse. Le prophète Daniel prie Dieu et confesse non-seulement les péchés de son peuple, mais ses propres péchés. Êtes-vous plus sage que Daniel, vous dirons-nous avec Ézéchiel. Daniel est un des trois saints personnages qui représentent les trois genres d’hommes que Dieu juge dignes de la délivrance, quand de grands désastres tombent sur l’univers. Les deux autres personnages sont Noé et Job. Noé représente ceux qui gouvernent sagement l’Église comme il gouverna l’arche au milieu des eaux du déluge ; Daniel est l’image de ceux qui vivent dans une sainte continence ; Job, l’image des époux vertueux. Tout élevé que soit Daniel, il a des péchés à confesser : l’orgueil de toute conscience doit en être brisé. Dès lors on ne s’étonne plus que Dieu fasse sentir au genre humain le fouet de son châtiment, avant le jour de la suprême justice. On cite l’exemple de Sodome qui n’eût pas péri si elle avait renfermé au moins dix justes. Rome, avec ses communautés religieuses, ses prêtres, ses nombreux chrétiens, ne renfermait donc pas dix justes qui l’axent préservée du céleste courroux ! Augustin répond que le Seigneur, en demandant au moins dix justes à Sodome, menaçait de perdre la ville et non pas de la corriger. Or, Sodome coupable périt tout entière ; nul n’échappa ; le feu dévora toute chose ; rien de pareil n’est arrivé à Rome. Rome est debout, et de plus, combien d’hommes ont échappé au désastre ! que d’hommes ont été protégés par les autels chrétiens devenus d’inviolables asiles pour les vainqueurs !

« De terribles choses nous ont été annoncées, dit Augustin à son peuple ; il y a eu des incendies, des rapines, des massacres, des martyres d’hommes. C’est vrai, nous avons entendu dire beaucoup de choses, nous avons gémi sur tous les malheurs, nous avons souvent pleuré, c’est à peine si nous sommes consolés ; je ne disconviens pas, je ne nie pas que beaucoup de maux ne se soient accomplis à Rome. Cependant, mes frères (que votre charité fasse bien attention à ce que je dis), nous avons écouté l’histoire du saint homme ; après avoir perdu ses biens et son fils, il ne put garder saine sa chair, qui seule lui était restée ; frappé d’une affreuse plaie de la tête aux pieds, il était assis dans l’ordure, couvert de pourriture et de sang noir, livré aux vers, en proie à d’atroces douleurs. Si on vous annonçait qu’une cité est ainsi assise, sans que plus rien de sain demeure en elle, souffrante d’une horrible plaie, et que les vers y dévorent les vivants comme ils ont coutume de dévorer les morts, laquelle des deux villes trouveriez-vous la plus malheureuse ? celle-ci ou bien Rome après la dernière guerre ?… Job supporta sa misère, et sa patience lui fut comptée comme une grande justice. Homme, ta puissance n’est pas dans ce que tu souffres : c’est dans ce que tu fais que se trouve ta volonté innocente ou coupable. »

Augustin dit que tout ce que l’imagination peut produire en fait de tourments dans ce monde est bien léger à côté de la géhenne éternelle ; l’un passe, l’autre ne passe pas. Ceux qui ont souffert à l’époque de la dévastation de Rome ne souffrent plus ; et le mauvais riche souffre encore aux enfers. Quand l’homme devient meilleur par ses souffrances, elles sont pour lui une correction utile ; s’il ne devient pas meilleur, elles forment comme une double damnation. Le chrétien malheureux ne doit pas murmurer contre Dieu ni lui dire : Dieu, que vous ai-je fait ? pourquoi donc je souffre ces choses ? Mais plutôt il doit dire comme Job, tout saint qu’il était : Vous avez recherché tous mes péchés, et vous les avez mis en réserve comme dans un sac cacheté. Il y a eu à Rome cinquante justes, il y en a eu mille, si l’on considère les jugements humains ; il ne s’en est pas rencontré un seul, si l’on a égard à la règle de la perfection. Voyait-on à Rome quelqu’un de plus sage que Daniel qui confessait ses fautes ? Rome a été épargnée à cause des justes qu’elle renfermait. Ceux qui sont morts dans la justice et la foi ont été affranchis des tourments humains et conduits aux divines consolations. Ils sont morts après la tribulation, ainsi que le pauvre de l’Évangile devant la porte du riche ; comme eux, le pauvre souffrit la faim et les blessures, et mourut ; mais l’Évangile ajoute que des anges emportèrent le pauvre dans le sein d’Abraham. L’évêque d’Hippone montre les pieuses victimes de la guerre se réjouissant dans le ciel et rendant grâces à Dieu de les avoir mises à l’abri des tourments de la vie, des coups des barbares et des pièges du démon, de les avoir placées au-dessus de la faim, de la grêle, de l’ennemi, du licteur, de l’oppresseur. Augustin raconte ensuite les phénomènes arrivés à Constantinople dans la se-