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histoire de saint augustin.

avec Longinien put porter à la longue les mêmes fruits religieux, mais rien n’est plus attachant que l’échange de sentiments et d’idées entre le docteur chrétien et le philosophe païen. Trois lettrés seulement nous sont restées de cette correspondance. Nous en donnerons la substance pour ajouter à tout ce que nous avons dit déjà sur la philosophie païenne à cette époque, sur la situation nouvelle à laquelle les intelligences étaient parvenues en dehors des vérités révélées.

Longinien habitait l’Afrique ; il avait eu des entretiens avec l’évêque d’Hippone, qui le jugeait sincère et animé du plus vif désir de devenir un homme de bien. Augustin, dans une première lettre, rappelant un mot de Socrate, dit à Longinien que le désir d’être homme de bien ouvre une porte facile à toute science, mais que longtemps auparavant il avait été écrit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de tout votre esprit, de toute votre âme et votre prochain comme vous-même. Ces deux commandements selon Jésus-Christ comprennent la loi et les prophètes. Longinien pensait qu’il fallait adorer Dieu ; Augustin lui demande comment il faut l’adorer. Il lui demande aussi ce qu’il pense de Jésus-Christ dont le philosophe paraissait avoir une grande idée, et s’il est d’avis qu’on puisse arriver à la vie heureuse par la voie chrétienne ou même uniquement par cette voie. Si Longinien n’y marche pas encore, est-ce par suite d’un doute ou bien d’un simple retard ? Telles sont les questions qu’Augustin lui adresse comme un ami à son ami.

Voyons ce que Longinien va répondre à celui qu’il appelle très-vénérable Seigneur et très-saint père Augustin. Il regarde comme un bonheur d’avoir reçu, lui tout indigne, une lettre de ce saint et grand homme ; c’est comme un rayon de ses vertus qui est venu resplendir sur sa propre face. Augustin lui a imposé un grand fardeau en posant de semblables questions à un homme de sa croyance, surtout en un temps pareil. Longinien fait profession de suivre une doctrine riche en préceptes de morale, préceptes qu’il déclare plus anciens que Socrate, plus anciens que les livres des juifs, et dont il attribue la gloire à Orphée, à Agés, à Trismégiste, médiateurs lointains entre les dieux et la terre, au commencement des siècles, avant que l’Europe, l’Asie et l’Afrique eussent un nom. C’était le néoplatonisme avec son nouveau plan de se chercher des ancêtres au berceau de l’univers. Mais la foi vague du philosophe n’arrête point son enthousiasme pour Augustin. Il n’aperçoit rien dans les âges de comparable à l’évêque d’Hippone, à moins qu’on ne veuille tenir pour vrai l’idéal portrait tracé par Xénophon ; il jure qu’il n’a rien vu, rien entendu citer qui approche de l’évêque pour son profond et constant travail vers Dieu, pour sa pureté de cœur et sa fermeté de croyance. Augustin lui demande par quelle voie on arrive à Dieu ; c’est à l’évêque qu’il appartiendrait de le lui apprendre ! Longinien ne possède pas encore tout ce qui doit l’élever vers le siège du bien éternel, mais il s’occupe des provisions du voyage. Sa doctrine, fondée sur les traditions de ses pères, il la résume ainsi : la meilleure voie pour aller à Dieu est celle par laquelle l’homme de bien, pieux, jute et pur, victorieux des épreuves du temps, accompagné de ces dieux intérieurs que les chrétiens appellent des anges, pénétré des vertus, purifié par les expiations mystérieuses et les abstinences de l’unique, de l’incompréhensible, de l’infatigable Créateur, marche vers lui de toute l’impétuosité de l’esprit et du cœur. « Quant au Christ, ce Dieu formé de chair et d’esprit, et qui est le Dieu de votre croyance, par lequel vous vous croyez sûr d’arriver au créateur suprême, bienheureux, véritable, et père de tous, je n’ose ni ne puis vous dire ce que j’en pense : je trouve fort difficile de définir ce que je ne sais pas. » Longinien termine en disant que son seul mérite, c’est son respect pour Augustin ; que le meilleur témoignage en faveur de sa vie, c’est sa constante préoccupation de ne pas déplaire à l’évêque d’Hippone, et qu’il recevra avec bonheur quelque lettre de lui qui lui apporte la lumière.

Cette lettre fut agréable à Augustin ; il loua, de la part d’un païen, la réserve du langage au sujet de Jésus-Christ, et accueillit avec joie le désir que lui exprimait Longinien de l’entendre sur ces questions. Le philosophe, dans sa lettre, ne croit pas que la piété du cœur suffise pour aller à Dieu, mais il y ajoute la nécessité de la pratique extérieure des cérémonies anciennes ; Augustin lui demande pourquoi la nécessité de ces sacrifices si on est pur. Que reste-t-il à expier si on a passé des jours conformes à la vérité et à la justice ? L’évêque