Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
chapitre vingt-cinquième.

blanchie par les travaux religieux. Il avait alors cinquante-six ans. La parole touchante et forte du grand évêque ne retentit pas inutilement dans l’âme de Dioscore ; elle n’eut pas tout de suite un effet décisif ; mais dix-neuf ans plus tard, elle vibrait sans doute encore dans l’âme de Dioscore, lorsque des miracles répétés sur sa fille et sur lui-même le déterminèrent à accomplir son veau de se faire chrétien.

En recherchant ce qui nous reste de monuments contemporains, nous sommes frappés du respect des païens pour l’évêque d’Hippone ; ce respect était inspiré par le génie, mais surtout par la modération et la mansuétude d’Augustin. Aux tristes époques où les passions jouent un grand rôle, où la violence entre comme élément principal dans les affaires humaines, le spectacle d’une belle intelligence unie à une parfaite bonté a beaucoup d’attrait pour les peuples. Lorsque ceux qui admirent ainsi sont dans la nuit et que celui qui est admiré est une grande lumière, les rapprochements deviennent faciles et peuvent être féconds. On se rappelle que le fils de Monique avait étudié à Madaure ; les païens y étaient restés très-nombreux. La cité s’adressa à l’évêque d’Hippone pour une affaire particulière ; dans cette lettre qui n’est point parvenue jusqu’à nous, la cité païenne donnait à Augustin le nom de père et lui souhaitait le salut dans le Seigneur ; « notre très-honoré seigneur, lui disait-elle, que Dieu et son Christ vous donnent au milieu de votre clergé une longue et heureuse vie ! » Ces respectueuses politesses révélaient une situation toute nouvelle chez les polythéistes de Madaure. Augustin leur répondit ; nous avons sa lettre, dont la date n’est pas connue. Il saisissait une occasion de faire entendre la vérité à une population qui ne l’acceptait pas encore.

Augustin reproche à la ville païenne d’être tombée dans une contradiction en le traitant de père, et en lui souhaitant le salut dans le Seigneur. Ce langage n’est permis qu’à des chrétiens ; or, le porteur de la lettre, interrogé par l’évêque d’Hippone, a répondu que Madaure n’avait pas changé. C’est donc une moquerie, ajoute l’évêque, et l’on se joue du nom de Jésus-Christ ! Les paroles qu’il va adresser à Madaure seront pour elle une condamnation si ces paroles ne la ramènent pas. Le docteur, abordant la question chrétienne, parle des événements anciens et nouveaux accomplis selon la prédiction des Écritures, et propres à porter l’homme à la recherche de la vraie religion ; la dispersion des Juifs sur la terre, la fin de la royauté parmi eux, les progrès immenses de la doctrine du Christ sorti du milieu des Hébreux, sont des témoignages qui invitent à penser. Les hérésies et les schismes même ne sont quelque chose que parce qu’ils appartiennent au christianisme. L’évêque ne craint pas de montrer aux païens de Madaure quel vent de destruction a passé sur les idoles et leurs temples ; nul ne songe à relever les sanctuaires qui sont tombés ; il en est de murés et auxquels nul ne prend garde ; d’autres ont changé de destination. Les idoles sont brisées, brûlées ou enterrées. Les mêmes pouvoirs qui persécutaient les chrétiens, au nom des faux dieux, ont été vaincus non point par la résistance des amis du Christ, mais par leur patient courage sous la hache des bourreaux. La majesté souveraine s’est tournée contre les idoles, et s’agenouille devant le tombeau d’un pêcheur. Nulle prédiction n’a été vaine ; le dernier jugement a été annoncé ; il viendra aussi. Il n’y a plus d’excuse pour ne pas aller au Christ, quand tout proclame sa gloire. Le nom du Christ est dans la bouche de tout homme qui veut remplir un devoir ou s’élever à une vertu. Augustin définit ensuite Dieu et son Verbe, explique ce que c’est que l’incarnation, et fait voir tout ce qu’il y a de merveilleusement puissant dans l’humilité d’un Dieu. Le docteur, en finissant, dit aux citoyens de Madaure que, sans leur lettre, il ne leur aurait pas parlé de Jésus-Christ ; il les conjure de s’arracher à leur erreur, et les appelle non-seulement ses frères, mais aussi ses pères, en souvenir des leçons par lesquels Madaure avait nourri sa jeune intelligence.

De telles paroles, tombant de si haut au milieu d’une ville presque toute païenne qui les avait provoquées, devaient remuer les esprits, faire naître des réflexions et tourner à la confusion du polythéisme. Sous quelque forme que se présentât l’intérêt de la vérité évangélique, Augustin en devenait le serviteur ; il ne repoussait pas la curiosité elle-même parce que la curiosité pouvait conduire à un examen sérieux. On a vu plus haut qu’il voulut bien écouter un païen, Dioscore, qui lui écrivait pour le consulter sur les dialogues de Cicéron ; et Dioscore se fit plus tard chrétien. Nous ne savons pas si la correspondance d’Au-