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histoire de saint augustin.

comme on peut se tromper sur soi-même. Notre docteur voudrait qu’on lui épargnât de faire de longues lettres, afin que les loisirs de son épiscopat fussent employés à de plus utiles écrits. À son premier voyage à Hippone, Sévère pourra voir à combien d’ouvrages travaille Augustin au milieu des soins de son ministère, et sans doute alors il voudra lui-même empêcher que son ami ne soit détourné de tant d’œuvres commencées.

Cependant les Goths inondaient l’Italie, les Mains et les Suèves les Gaules, et les Vandales l’Espagne ; les retraites de la piété n’étaient pas respectées au milieu des désastres des nations. Au mois de novembre 409, Augustin écrivait[1] sur ces calamités au prêtre Victorien, qui lui avait raconté les maux des serviteurs et servantes de Dieu. L’évêque disait que ces désastres demandaient une abondance de larmes plutôt qu’une abondance de paroles. En attendant les invasions terribles, les clercs donatistes et les circoncellions, par leurs indomptables fureurs, faisaient l’office des barbares dans le pays d’Hippone. Augustin montrait le genre humain dans les désolations comme l’olive sous le pressoir : on en voyait sortir l’écume et la lie, c’est-à-dire les blasphèmes de ceux qui murmuraient contre la Providence de Dieu ; on voyait couler aussi l’huile pure, c’est-à-dire les prières humbles et ferventes de ceux qui adoraient la justice et imploraient la miséricorde d’en-haut.

Déjà commençaient à se faire entendre des voix contre le christianisme qu’on accusait des malheurs du monde ; Augustin répondra plus tard à ces injustes murmures dans la Cité de Dieu. Ses lettres à Victorien offrent des consolations tirées des saintes Écritures. Il raconte l’histoire d’une jeune religieuse, nièce de l’évêque Sévère, qui, dans le pays de Steffe, fut emmenée par des barbares. Ses trois ravisseurs, tous trois frères, à peine revenus dans leurs demeures, se virent frappés d’une dangereuse maladie ; ils avaient une mère qui, ayant remarqué la pieuse ferveur de leur nouvelle captive, conjura la vierge chrétienne de prier pour eux afin d’obtenir la guérison des trois malades : la mère promettait en échange la liberté. La jeune fille pria, fut exaucée et rendue à sa famille sans que le souffle du malheur dans cette aventure eût altéré la virginale blancheur de sa vertu.

Toutes les fois qu’Augustin espérait toucher une intelligence au profit de la vérité, sa bienveillance était sans bornes. Un Grec[2], nommé Dioscore, encore païen, frère de Zénobe, maître de mémoire de l’empereur, après avoir visité l’Italie et l’Afrique, allait s’embarquer pour les pays d’Orient, lorsqu’il eut l’idée d’adresser à l’évêque d’Hippone plusieurs questions tirées des dialogues de Cicéron. Dioscore n’avait trouvé ni à Rome ni à Carthage personne qui lui témoignât du goût pour la solution de ces problèmes philosophiques ou littéraires. Les écoles d’Italie et d’Afrique ne se souciaient plus de ces sortes d’études qui étaient devenues le partage des écoles de la Grèce. Chose curieuse ! Il ne se trouvait pas à Hippone un seul exemplaire des œuvres de Cicéron. Dioscore avait ouï dire que la jeunesse de l’évêque d’Hippone s’était écoulée dans les études profanes. Le motif qui le poussait à solliciter la solution de ces problèmes, c’était la honte de passer pour incapable ou ignorant auprès des hommes qui pourraient l’interroger sur ces différents points. Le premier sentiment d’Augustin en recevant la lettre de Dioscore fut de la surprise : comment osait-on demander à un évêque de se détourner des devoirs importants de son ministère pour expliquer Cicéron ! Voyant ensuite que le principal but de cette demande était le désir d’obtenir les louanges des hommes, Augustin eut pitié de ce Grec lettré qui s’inquiétait si vivement d’être bien jugé dans le monde ; il lui adressa au commencement de l’année 410 une lettre fort étendue[3] où sont examinés et démolis tous les systèmes philosophiques de l’antiquité, et où Jésus-Christ s’élève comme la grande autorité devant laquelle doit disparaître l’erreur. Augustin était souffrant lorsqu’il reçut la lettre de Dioscore ; il avait cherché du repos hors d’Hippone pendant quelques jours, et sa grande et belle réponse sortit de ce repos qui ne le mettait pas à l’abri de la fièvre. C’est dans cette lettre que le grand docteur parle pour la première fois de sa tête

  1. Lettre 111.
  2. Quelques annotateurs ont fait de ce Dioscore un jeune homme, et les mêmes auteurs pensent que c’est de la conversion de ce même Dioscore qu’il est question dans la lettre de saint Augustin à Alype, écrite en 429. Or, de deux choses l’une : ou, à l’époque de sa correspondance avec le saint évêque Hippone, Dioscore n’était pas un jeune homme ou le Dioscore dont il s’agit dans la lettre de 420 n’est pas le même, car saint Augustin parle du Dioscore converti comme d’un vieillard : le jeune homme de 410 n’aurait pas pu être vieillard dix-neuf ans plus tard. Mais rien dans la lettre de Dioscore ni dans la réponse de saint Augustin n’indique que le Grec voyageur fut un jeune homme, et dès lors nous devons croire que c’est sa conversion qui est racontée dans la lettre de 429.
  3. lettre 119.