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chapitre vingt-cinquième.

et à la disposition de chacun ? Qui sait si les peines prescrites ne nuiront pas au lieu de profiter ? Quelles ténèbres, quelle profondeur, s’écrie Augustin, lorsqu’on veut sonder ces choses ! Quant à lui, il ne saurait dire si la verge levée sur les pécheurs n’a pas empiré plus de situations qu’elle n’en a guéri. On expose un coupable à périr si on le punit ; on en expose beaucoup d’autres si on laisse sa faute impunie : quelles transes ! quelles angoisses ! « Qui êtes-vous, pour juger le serviteur d’autrui ? nous dit saint Paul ; s’il tombe ou s’il demeure ferme, cela regarde son maître ; mais il demeurera ferme, car Dieu est tout-puissant pour l’affermir. » Jésus-Christ avait déjà dit : « Ne jugez point, et vous ne serez point jugés. » Ces paroles et d’autres jettent Augustin dans des inquiétudes. Les ténèbres l’attristent ; il en trouve aussi dans les Écritures, où l’on ne marche qu’à tâtons. Les Écritures offrent beaucoup plus de choses où nous cherchons ce que nous devons croire que de choses où nous rencontrons la certitude. Augustin observe admirablement que les hommes avancés dans la science spirituelle doivent se montrer fort retenus en matière religieuse avec les hommes qui vivent encore selon le monde. Il parle des obscurités qui nous cachent nos devoirs, des difficultés qui nous empêchent de les remplir, et dont la source est l’infinie variété des faiblesses et des replis secrets de nos cœurs. Le grand évêque demande à saint Paulin de dissiper ses doutes sur les points indiqués ; s’il ne le peut pas lui-même, qu’il les soumette à quelqu’un de ceux que Dieu a pu rendre propres à exercer la médecine spirituelle, soit à Nole, soit à Rome où saint Paulin a coutume de se rendre tous les ans.

Depuis le commencement de l’année 408, Marie avait mis le pied en Italie ; Stilicon fut accusé de l’y avoir attiré pour le faire servir à des projets d’usurpation. Ce soupçon lui coûta la vie. Le ministre d’Honorius périt à Ravenne le 23 août 408, de la main d’Héraclien, qui reçut en récompense le gouvernement de l’Afrique. Comme la mémoire de Stilicon était détestée, les hérétiques et les païens de l’Afrique répandirent le bruit qu’Honorius n’était pour rien dans les lois publiées contre eux et qu’elles avaient été l’œuvre personnelle de son ministre. Ces inventions troublaient le repos des catholiques africains. À la suite d’un concile tenu à Carthage le 13 octobre 408, deux évêques, Restitutus et Florentius, furent envoyés à l’empereur.

Augustin écrivit[1] à Olympius, un des officiers les plus considérables de l’empire, le même qui avait eu le courage de dénoncer les projets de Stilicon et qui mourut dans l’exil, assommé à coups de bâton ; il le priait de faire entendre sans retard aux ennemis de l’Église que la mort de Stilicon n’avait point ôté leur force à ces lois préservatrices, qu’elles n’avaient pas été l’ouvrage de celui dont on détestait la mémoire, mais de l’empereur lui-même, le fils de Théodose. Augustin exprimait ainsi les vœux de tous les évêques catholiques de l’Afrique, contre lesquels les donatistes ourdissaient des trames nouvelles depuis la mort du puissant ministre. Le 24 novembre 408, une loi fut publiée qui maintenait les décrets relatifs aux donatistes.

À peu près à la même époque, le grand évêque répondait à diverses questions proposées par Boniface, évêque de Cataigue, questions relatives au baptême, à l’incertitude de la future conduite de l’enfant dont les parrains répondent sous le rapport religieux. Dans ses raisonnements théologiques sur les sacrements, Augustin laisse échapper des mots dont les calvinistes ont fort abusé : « De même, dit-il, que le sacrement du corps de Jésus-Christ est son « corps selon une certaine manière, et que le sacrement de son sang est son sang, de même le sacrement de la foi est la foi[2]. » Ces expressions n’empêchent pas que le corps de Jésus-Christ ne se trouve joint au sacrement qui en est le signe visible. La doctrine d’Augustin sur la présence réelle est d’ailleurs fortement établie dans beaucoup de ses écrits.

Le conquérant qui se sentait mystérieusement porté à détruire Rome, avait déjà ravagé plusieurs villes de l’Italie et forcé la métropole du monde à se racheter à prix d’or. Des bruits de malheur étaient parvenus en Afrique. Augustin, écrivant[3] à Italica, pieuse dame de Rome, lui demandait, aux derniers jours de 408, ce qu’il y avait de vrai dans les tristes nouvelles répandues au milieu des contrées africaines, afin de pouvoir se mettre en com-

  1. Lettre 98. Cette lettre, qui précéda évidemment la loi du 24 novembre 408, n’a pas pu être écrite à la fin de cette année ; les Bénédictins, dont il est si rare de rencontrer l’érudition en défaut, n’ont pas été exacts sur ce point ; cette lettre à Olympius doit être de la fin d’octobre.
  2. Lettre 99.
  3. Lettre 100.