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chapitre vingt-troisième.

d’Augustin de la même année, adressée à Festus, officier de l’empire, possesseur de grands domaines aux environs d’Hippone. L’évêque insiste sur l’absurdité de se séparer du monde chrétien pour un fait qui ne peut être apprécié qu’en Afrique. Le parti de Donat anathématise toute la terre, parce qu’elle ne se prononce pas sur des crimes qu’elle ne connaît pas. Il faudra rebaptiser toutes les nations, parce que des évêques africains sont accusés d’avoir livré les Écritures divines aux païens ! Augustin parle de conversions sincères et durables obtenues par la crainte des lois ; on ne se contente pas, dit-il, de battre le rempart de la mauvaise habitude par la terreur des puissances séculières ; on travaille en même temps à édifier la foi. L’évêque exprime à Festus le désir de le voir mettre plus activement son crédit à ramener doucement les gens du pays d’Hippone, placés sous sa dépendance. L’année auparavant, l’évêque avait recommandé son cher troupeau d’Hippone à la vigilance de Cécilien, gouverneur de Numidie.

Nous avons parlé d’une lettre de Pétilien, évêque donatiste de Constantine, et de trois livres de réponse d’Augustin. Un grammairien donatiste, appelé Cresconius, après avoir lu le premier livre d’Augustin, entreprit la défense de Pétilien, et adressa son ouvrage en forme de lettre à l’évêque d’Hippone. Cresconius accusait l’éloquence d’Augustin d’égarer les intelligences faibles ; il faisait un crime au grand docteur de sa puissante dialectique, qu’il regardait comme dangereuse pour la vérité. L’évêque d’Hippone lui répondit par quatre livres, en 406. Il commença par venger l’éloquence attaquée par le grammairien donatiste, qui avait appelé à son secours des passages de l’Ecriture dont il altérait le texte. Le livre des Proverbes dit : « Vous n’éviterez point le péché en parlant beaucoup. » Ex multiloquio non effugies peccatum[1]. Cresconius avait substitué au mot multiloquio ces mots : multa eloquentia. Or, le bavardage et l’éloquence ne sont pas une même chose. L’un est un défaut, l’autre est une belle faculté. Si l’éloquence a été quelquefois employée à la défense des erreurs, ce n’est pas une raison pour l’accuser. Faudra-t-il proscrire les armes, parce qu’il s’est rencontré des hommes qui les ont tournées contre leur patrie ? Mais, dit Augustin à Cresconius, je crois que vous avez songé à accuser l’éloquence, parce que vous avez vu que je passais pour éloquent ; vous avez espéré éloigner ainsi de moi ceux qui me lisent ou ceux qui m’écoutent, en leur inspirant de la défiance. — Cresconius a confondu ainsi l’éloquence avec cet art du sophiste que Platon aurait voulu proscrire de la cité et de la société du genre humain, et que l’Ecriture avait déjà flétri : « Celui qui parle d’une façon sophistique, dit l’Ecclésiastique[2], est odieux. » Augustin dit à Cresconius que ce n’est pas sincèrement, mais par esprit de contradiction, qu’il a eu l’idée d’attaquer l’éloquence, lui qui a vanté l’éloquence de Donat, de Parménien et d’autres chefs de ce parti ; combien elle eût été utile si elle avait coulé en aussi grand fleuve pour la paix du Christ, pour l’unité, la vérité, la charité ! Cresconius lui-même ne s’est-il pas efforcé d’être éloquent contre l’éloquence ?

Le grammairien donatiste s’était étonné de l’orgueilleuse prétention d’Augustin de vouloir terminer à lui seul une question qui avait déjà occupé tant d’évêques des deux partis sans résultat définitif. Augustin répond qu’il n’est pas seul dans la lutte, qu’il n’est pas, seul à vouloir que cela finisse, bien plus, à vouloir faire reconnaître que cela est fini. Cresconius jugeait infructueux les efforts de l’évêque d’Hippone. S’il avait pu voir jusqu’à quel point l’erreur s’était étendue sur l’Afrique, et combien peu il restait de donatistes en dehors de la paix catholique, il n’aurait pas déclaré inutiles les travaux des défenseurs de l’unité chrétienne.

Le donatisme, à bout de raisons, proclamait lui-même sa propre défaite, en voulant bannir toute dispute et mettre la dialectique en suspicion. Augustin répondait que le Christ, notre divin modèle, avait lui-même disputé avec les Juifs, les pharisiens, les sadducéens ; que les prophètes de l’ancienne loi avaient agi ainsi pour ramener, et que saint Paul avait disputé avec les Juifs et les Gentils. La dialectique, qui n’est que la science de la dispute, était en honneur parmi les anciens philosophes. Les docteurs donatistes engageaient à fuir Augustin comme dialecticien ; il aurait mieux valu essayer de le réfuter. « J’examine votre discours, celui-là même que vous m’avez adressé, dit l’évêque d’Hippone à Cresconius ; j’y trouve une parole abondante et ornée, c’est là de l’éloquence ; j’y vois de l’adresse et de la subtilité dans la discussion, c’est là de la dialec-

  1. X, 19.
  2. XXXVII, 23.