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histoire de saint augustin.

plus grands hommes de cette époque ; et ce qui prouve la sainteté de Jérôme, malgré son impétuosité naturelle, c’est que, reconnaissant la vérité du côté d’Augustin, il se rangea à son avis. Nous n’avons pas les lettres dans lesquelles le grand solitaire acceptait l’opinion de l’évêque d’Hippone, mais le docteur africain nous l’apprend dans une lettre[1] à Océanus, ce Romain ami de Jérôme, écrite en 416 ; il cite l’ouvrage de Jérôme contre Pélage, publié sous le nom de Critobule, où le grand homme de Bethléem juge peu d’évêques irrépréhensibles, puisque saint Paul trouva quelque chose à reprendre même dans saint Pierre. Augustin, pour ne pas se donner l’honneur de la victoire, dit que Jérôme s’est rangé du côté de saint Cyprien, qui, dans une lettre[2] à Quintus, exprime un sentiment conforme à celui du docteur d’Hippone. Dans la suite nous aurons occasion de retrouver toute la tendresse et l’admiration de Jérôme pour Augustin, sans nulle trace des dissentiments et des vives impressions du passé.

Notre analyse de la correspondance d’Augustin et de Jérôme a dû suffire pour montrer à la fois toutes les faces des questions agitées et la diversité des deux caractères. Nous avons peint ailleurs[3] la figure du grand solitaire dont nous avons cherché les traces en Judée, et que nous avons admiré dans ses violentes luttes avec lui-même, dans son génie et sa piété. Augustin, accoutumé à controverser dans toute la plénitude de la liberté, poussé par le seul amour du vrai, s’en va heurter tout à coup Jérôme, dont il paraissait n’avoir qu’une imparfaite idée ; le malheur veut que toute l’Italie connaisse avant Jérôme lui-même une lettre de polémique, adressée à l’illustre solitaire ; puis les insinuations perfides font leur œuvre, et le saint vieillard de Palestine ne résiste que faiblement à sa fougue. Peu à peu il apprend à connaître le cœur et les intentions d’Augustin ; les nuages d’un doute injurieux s’effacent, et cette forte et impétueuse nature que le christianisme avait si merveilleusement domptée, s’adoucit à l’égard du tendre et pacifique génie d’Hippone. Jérôme, dans la discussion du fameux passage de l’Épître aux Galates, montre plus d’érudition que son adversaire ; Augustin eut le bonheur de rencontrer la vérité, et la gloire de la soutenir avec une grande élévation de raison, une constante fermeté d’idées, et ce long regard qui avait pénétré dans les dernières profondeurs du génie chrétien. Paul, qu’il citait toujours avec tant de complaisance et dont la puissante pensée avait en quelque sorte créé la sienne, Paul est présenté comme un homme capable de dissimuler, et le mensonge va s’introduire dans nos livres saints ! Augustin s’en émeut ; il avait deviné le christianisme ; jeune encore, il trouve la vérité, dans cette circonstance solennelle, mieux que les vétérans de la milice du Seigneur. Il entre admirablement dans l’esprit de Paul, et la vérité religieuse l’inspire, quand il dit qu’il fallait enterrer avec honneur la synagogue.

Il était tout simple en effet que l’ancien monde hébraïque disparût peu à peu, à mesure que se produisait le monde chrétien. La suppression du culte judaïque ne pouvait pas être soudaine. La nuit ne plie pas tout de suite ses voiles à l’approche du jour ; quelque temps encore les ombres obscurcissent le ciel du côté du couchant. Si telle est l’image des grandes institutions humaines, destinées à faire place à d’autres plus parfaites, à plus forte raison cela est-il vrai des institutions marquées du sceau divin. Par égard pour leur céleste origine, on doit leur dire un adieu respectueux. Le mosaïsme méritait de belles funérailles, et c’est ce qui explique la conduite des apôtres. Mais Pierre fit plus qu’il ne convenait ; il fut trop fidèle au passé en obligeant les Gentils à judaïser, et c’est pour cela que Paul eut le courage de le reprendre, et Paul se montra alors le parfait interprète de la pensée chrétienne.

  1. Lettre 160.
  2. Lettre 71.
  3. Histoire de Jérusalem », tome ii, chap. 25.