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histoire de saint augustin.

Verceil, ont traduit Origène et Eusèbe de Césarée, et le grand Ambroise a suivi Origène. Pourquoi donc Augustin est-il revenu sur les Psaumes après tant d’illustres interprètes ? — Avec une telle règle, il n’y aurait plus moyen d’écrire après les anciens. Jérôme n’a pas songé à abolir les versions anciennes, puisqu’il les a corrigées et mises en latin, à l’usage de ceux qui n’entendent que cette langue ; mais il a voulu rétablir les passages que les juifs avaient supprimés ou altérés, et faire connaître aux latins la vérité hébraïque tout entière. Nul n’est forcé de lire sa version nouvelle. On peut boire délicieusement le vin vieux et mépriser le vin nouveau de Jérôme, c’est-à-dire son travail pour l’éclaircissement des anciens et l’intelligence des endroits qu’on ne comprenait pas. La malice des juifs paraît préoccuper Augustin ; mais il ne faut pas croire que tous les juifs de la terre ressemblent à ceux de la petite ville d’Afrique dont on a parlé. En terminant sa lettre, Jérôme prie Augustin de ne plus forcer au combat un vieux soldat qui se repose ; Augustin est jeune encore, il est placé sur une chaire pontificale ; qu’il instruise les peuples, et qu’il enrichisse les greniers romains des nouvelles moissons de l’Afrique ; il suffit au pauvre Jérôme de parler bas dans un coin de monastère, avec quelque pécheur comme lui, qui l’écoute ou le lit.

Telle est cette réponse, où nulle question n’est omise, réponse éloquente où l’esprit, l’imagination, la force de la pensée, se mêlent aux fleurs des livres divins, pour charmer et entraîner. Jérôme avait alors soixante et treize ans, et, sous ce front chauve, labouré par de profondes rides, dans cette poitrine amaigrie, desséchée, meurtrie par la pénitence, on sent tout le feu de la jeunesse. L’éloquence s’échappe ici de la bouche du vieux Jérôme, pareille à ces sources de Judée, qui, parfois sortent d’une terre aride et nue où la dévastation a passé.

Dans une petite lettre adressée à Augustin peu de temps après, Jérôme lui demande pardon de cette réponse à laquelle il a été si vivement sollicité ; ce n’est pas lui qui a parlé, c’est sa cause qui s’est défendue contre celle d’Augustin. Il l’invite à laisser là ces querelles, et veut que leurs lettres ne soient plus que des lettres d’amitié. Jérôme a repoussé avec le style un ami qui, le premier, l’avait attaqué avec l’épée : il appartient à la bonté et à la justice d’Augustin de donner tort à l’agresseur, et non pas à celui qui se défend.

La réponse d’Augustin en 405 est d’une grande importance. Elle est empreinte d’un esprit fin, d’une raison ferme et d’un noble amour de la vérité et de la justice. Jérôme voulait qu’Augustin jouât avec lui dans le champ des Écritures, de manière à ne pas se blesser l’un l’autre. L’évêque ne comprend guère ce jeu dans des recherches aussi sérieuses que celles de la vérité. Si quelque chose semble manquer d’exactitude dans les écrits des autres, il faut bien le dire, sous peine de perdre son temps en conférences inutiles ; alors on s’expose à être accusé de vouloir se faire une réputation, en attaquant les grand hommes, et de tirer une épée trempée dans le miel. Augustin ne cache pas à Jérôme que les livres canoniques sont les seuls dont il reconnaisse l’infaillibilité, et qu’il n’accepte les autres livres qu’après examen : Jérôme ne peut pas prétendre qu’on lise ses ouvrages comme ceux des prophètes et des apôtres.

Augustin persiste à soutenir que Paul a repris sérieusement l’apôtre Pierre, et qu’il n’a pu mentir dans cette épître où nous trouvons ces paroles : « Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens point en tout ce que je vous ! écris. » Paul a dit que Pierre ne marchait pas selon la vérité de l’Évangile ; ce sont là des termes positifs. Pierre agissait de manière à obliger les Gentils à judaïser, et à faire croire que les cérémonies mosaïques étaient nécessaires au salut. Si Paul a fait circoncire Timothée, s’il a acquitté un vœu à Cenchrée, si, à Jérusalem, d’après le concile de Jacques, il se conforme, avec des nazaréens, aux usages de la loi, il ne veut pas faire entendre par là que les sacrements juifs opèrent le salut des chrétiens. Il veut seulement empêcher qu’on ne le soupçonne de regarder comme une idolâtrie païenne des choses que Dieu avait ordonnées pour les temps auxquels elles convenaient, et qui étaient les ombres des choses à venir. On disait de lui, en effet, qu’il enseignait à se séparer de Moïse. Et c’eût été criminel que ceux qui croyaient au Christ se séparassent des prophètes du Christ, comme détestant et condamnant la doctrine de celui dont le Christ lui-même a dit : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi ; car c’est de moi qu’il a écrit. » Les Juifs qui accusaient Paul accusaient surtout en lui le véhément prédicateur de la grâce de Jésus-Christ, sans laquelle il n’y