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chapitre vingt-deuxième.

comme le prétend Augustin ; Origène et ceux qui l’ont suivi ne plaidaient pas la cause du mensonge, mais ils reconnaissent, dans la conduite des deux apôtres, la sagesse et la prudence. Ils réfutent les blasphèmes de Porphyre, qui dit que Pierre et Paul avaient eu entre eux une querelle d’enfants, et que la jalousie avait inspiré Paul.

D’après l’opinion exprimée dans la lettre d’Augustin, l’erreur de Pierre semble ne pas consister dans la doctrine qui rendait la loi de Moïse obligatoire pour les Juifs devenus chrétiens, mais seulement dans l’idée de vouloir obliger les Gentils à judaïser : en ce cas, Paul aurait eu le droit de reprendre Pierre : jamais il n’avait contraint les Gentils à la pratique de la loi mosaïque. Jérôme fait observer à Augustin qu’il tomberait ainsi dans l’hérésie des cérinthiens et des ébionites. Cérinthe et Ebion avaient voulu mêler à l’Évangile les cérémonies judaïques, et les anciens docteurs de l’Église les avaient anathématisés. Au temps même de Jérôme, on rencontrait dans les synagogues de l’Orient la secte des minéens ou des nazaréens, qui, voulant être à la fois juifs et chrétiens, n’étaient ni chrétiens ni juifs. Jérôme insiste sur les passages de la lettre d’Augustin qui ont l’air d’autoriser les sacrements des Juifs parmi les chrétiens ; l’évêque d’Hippone ne trouvait rien de pernicieux dans les cérémonies judaïques. « Mais au contraire, dit Jérôme, je crierai contre le monde entier que les cérémonies des Juifs sont nuisibles et mortelles aux chrétiens, et que l’observateur de ces cérémonies, soit Juif, soit Gentil, est tombé dans le gouffre du démon, car le Christ est la fin de la loi pour la justification de tout croyant[1]. La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean-Baptiste[2], etc. » Paul, qui fait le sujet de la dispute, avait dit : « Voilà que moi, Paul, je vous déclare que, si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous sert de rien[3]. »

Augustin, dans sa lettre, avait marqué ce que saint Paul avait rejeté de mauvais chez les Juifs ; il ne dit pas ce qu’il en avait retenu de bon. Paul suivait, répondra Augustin, les cérémonies anciennes, quoiqu’elles ne fussent pas de nécessité de salut. Que veulent dire ces mots ? Pourquoi observer des cérémonies qui ne font rien pour mener au salut ? L’observation des cérémonies légales ne saurait être de ces choses indifférentes qui tiennent le milieu entre le bien et le mal, comme parlent les philosophes.

Entre deux docteurs si excellents, un désir de rapprochement était naturel. Jérôme le sent lui-même. « Après tout, dit-il, il n’y a pas une grande différence entre votre sentiment et le mien. Je dis que Pierre et Paul, par crainte des Juifs, ont fait semblant de remplir les préceptes de la loi. Vous, vous prétendez qu’ils ont fait cela charitablement ; non par dissimulation, mais par une affectueuse compassion. Que ce soit crainte ou miséricorde, il sera établi que les deux apôtres feignirent d’être ce qu’ils n’étaient pas. »

Jérôme prie Augustin de lui pardonner cette petite discussion, qu’il a lui-même provoquée. Il ne veut pas être pris pour un docteur de mensonge, lui qui marche à la suite du Christ, la voie, la vérité et la vie. Il demande à Augustin de ne pas soulever contre lui le peuple qui l’honore comme son évêque, ce peuple qui l’écoute avec admiration, mais qui compte pour peu un homme au déclin de la vie, enfermé dans la solitude des champs et d’un monastère. « Cherchez, dit Jérôme à Augustin, cherchez d’autres gens à instruire et à reprendre ; quant à nous, nous sommes séparés par une si grande étendue de terre et de mer, que le son de votre voix nous parvient à peine ; et, si vous m’écriviez des lettres, Rome et l’Italie les recevraient avant moi. »

On se souvient du désir d’Augustin de détourner Jérôme d’une traduction nouvelle de l’Écriture sur l’hébreu. Augustin lui disait : Ou les textes traduits par les Septante sont obscurs, ou bien ils sont clairs ; s’ils sont obscurs, il est permis de croire que vous pouvez vous tromper vous aussi ; s’ils sont clairs, les erreurs n’ont pas été possibles. Jérôme répond à Augustin par son propre dilemme. Les choses expliquées par tous les anciens interprètes des Écritures sont obscures ou bien sont claires si elles sont obscures, comment Augustin a-t-il osé à son tour entreprendre l’explication de ce qu’ils n’avaient pu comprendre ? si elles sont claires, il était inutile de travailler à mettre en lumière ce qui n’avait pu leur échapper, particulièrement sur les Psaumes, qui ont été le sujet de nombreux volumes des auteurs grecs, Origène, Eusèbe de Césarée, Théodore d’Héraclée, Astérius de Scytopolis, Apollinaire de Laodicée, Didyme d’Alexandrie. Chez les latins, Hilaire de Poitiers, Eusèbe, évêque de

  1. Rom., X, 4.
  2. Luc, XVI, 10 19.
  3. Galat., V. 7.