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histoire de saint augustin.

gales, et que Pierre, comme chef de la circoncision, avait tort de vouloir contraindre les Gentils à l’observation d’une loi obligatoire pour les Juifs seulement. Si Augustin pense que les Juifs chrétiens soient tenus de suivre l’ancienne loi, il est du devoir d’un évêque comme lui, connu dans tout l’univers, de publier cette opinion et d’engager tous les autres évêques à la suivre. Quant à lui, Jérôme, caché sous un pauvre petit toit avec des moines, c’est-à-dire avec des pécheurs comme lui, il n’ose pas prononcer sur ces grandes questions ; il se contente d’avouer ingénument qu’il lit les ouvrages des anciens, et que, selon la coutume de tous les interprètes, il marque dans ses commentaires les différentes explications, afin que chacun adopte celle qu’il lui plaira.

Le but de l’interprétation d’Origène, interprétation adoptée par les autres auteurs, c’était de répondre aux blasphèmes de Porphyre, qui prétendait que Paul n’avait pu sans insolence reprendre en face le prince des Apôtres pour une faute où lui-même était tombé. Jérôme cite l’autorité de saint Jean Chrysostome, qui, dans un commentaire étendu sur le passage de l’Épître aux Galates, avait adopté le sentiment d’Origène et des anciens. Voilà les hommes avec lesquels s’égare le solitaire de Judée : il demande à Augustin de produire une autorité à l’appui de son propre jugement.

Toutefois, Jérôme ne se bornera pas à s’abriter derrière de grands noms ; il entrera directement en lutte avec Augustin. Il rappelle la voix d’en-haut qui disait : Lève-toi, tue, et mange[1] ; et qui, se faisant entendre une seconde fois, avertissait Pierre de ne pas appeler impur ce que Dieu a purifié. Jérôme cite divers traits des Actes des Apôtres qui montrent de la part de Pierre une parfaite connaissance de l’inutilité de l’ancienne loi après l’Évangile. Il fut lui-même l’auteur du décret qu’on l’accuse d’avoir violé ; il fit semblant de l’enfreindre pour ne pas offenser les Juifs qui s’étaient attachés à l’Évangile. Paul, qui a repris Pierre, n’avait-il pas fait comme lui ? Le grand apôtre rencontre à Listra, dans l’Asie-Mineure, le disciple Timothée, fils d’une veuve chrétienne et d’un père gentil. Paul veut l’emmener avec lui, mais il le circoncit à cause des Juifs qui se trouvaient en ces lieux-là. Paul n’eut donc pas pour Pierre l’indulgence qu’il avait eue pour lui-même. De plus, l’Apôtre, qui avait laissé croître ses cheveux, pour accomplir un vœu, se fit raser la tête à Cenchrée. Pourquoi laissa-t-il croître sa chevelure dans un vœu ? n’était-ce pas une concession à la loi de Moïse[2] qui ordonnait cela aux nazaréens consacrés à Dieu ? À l’arrivée de Paul dans la ville de Jérusalem, Jacques et tous les prêtres qui étaient avec lui, après avoir approuvé son Évangile, lui dirent que des milliers de Juifs croyaient en Jésus-Christ, tout en pratiquant avec zèle l’ancienne loi ; ces Juifs ont entendu répéter que Paul enseigne aux Juifs, qui sont parmi les Gentils, de ne pas circoncire leurs enfants et de ne pas suivre l’ancienne coutume. Jacques et les prêtres engagent Paul à prouver le contraire par son exemple : « Nous avons ici, lui disent-ils quatre hommes qui ont fait un vœu ; prenez-les avec vous, purifiez-vous avec eux, faites-leur raser la tête, afin que tous sachent que ce qu’ils ont entendu de vous est faux, mais que vous marchez vous-même dans l’observation de la loi[3] » Paul suivit ce conseil, et le jour suivant il entra dans le temple avec les autre hommes.

« Dites-moi donc encore, Paul, s’écrie ici Jérôme : pourquoi vous êtes-vous rasé la tête ? pourquoi avez-vous marché nu-pieds selon les cérémonies judaïques ? pourquoi avez-vous offert des sacrifices et immolé pour vous des victimes selon la loi ? Vous répondrez sans doute que c’était pour ne pas scandaliser les Juifs qui avaient cru. Vous avez donc fait semblant d’être Juif pour gagner les Juifs, et Jacques et les autres prêtres vous ont appris cette dissimulation, qui ne vous a point sauvé de ce que vous appréhendiez. Car, une sédition s’étant élevée, vous alliez être tué, lorsqu’un tribun vous arracha des mains du peuple ; il vous envoya à Césarée, escorté par des soldats, de crainte que les Juifs ne vous fissent mourir comme un imposteur et un destructeur de la loi. Arrivant ensuite à Rome, dans une maison que vous aviez louée, vous prêchâtes le Christ aux Juifs et aux Gentils, et, sous le glaive de Néron, vous scellâtes de votre sang ce que vous aviez enseigné. »

Nous venons de voir que, dans la crainte des Juifs, Pierre et Paul ont tous les deux fait semblant d’observer la loi. De quel front, par quelle audace Paul eût-il donc repris dans un autre ce qu’il avait fait lui-même ? La feinte des deux apôtres n’était pas un mensonge officieux

  1. Actes des Apôtres, xi, 7.
  2. Livre des Nombres, vi, 18.
  3. Actes des Apôtres, xxi, 17-26.