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chapitre vingt-unième.

Jérôme, dans sa piété profonde et son amour pour Augustin, aurait trouvé la force de réprimer les mouvements de son âme offensée ; mais il y avait à Jérusalem et en Judée des amis que Jérôme appelle avec bienveillance de grands serviteurs de Jésus-Christ, et dont les sentiments et les avis ne furent point alors inspirés par la charité. Ils disaient que ce n’était pas sans dessein qu’Augustin avait laissé courir en Italie la lettre de 397, et qu’il espérait réduire le vieillard de Bethléem à l’humiliation du silence. Il est probable que les ennemis de Jérôme avaient semé ces bruits menteurs : la Judée chrétienne n’aurait pas dû les accueillir. Jérôme, écrivant à Augustin en 404, lui expose ces rumeurs étranges, et lui avoue que s’il ne lui a point répondu, c’est qu’il ne voyait pas clairement que la lettre vînt de lui ; il ne se croyait pas d’ailleurs capable de l’attaquer, comme on dit, avec une épée trempée dans le miel. La lettre de 397 lui paraissait renfermer des choses hérétiques ; il aurait craint qu’on ne le trouvât trop dur à l’égard d’un évêque de sa communion. Jérôme attendait une copie de cette lettre, signée de la main d’Augustin ; sinon il demande qu’on respecte le repos d’un vieillard, dont toute l’ambition est de demeurer caché au fond de sa cellule. Si l’évêque d’Hippone veut faire éclater son savoir, qu’il cherche des jeunes gens nobles et diserts, fort nombreux à Rome, et qui pourront et oseront disputer avec un évêque sur les saintes Écritures. Pour ce qui est de lui, Jérôme, soldat jadis, il est aujourd’hui vétéran ; il ne peut plus combattre avec son corps cassé, et n’est propre qu’à chanter les victoires d’Augustin et celles des autres. Trop d’instances pour obtenir une réponse pourraient bien le faire songer à Q. Maximus, qui brisa par sa patience le jeune orgueil d’Annibal.

Le vieillard de Bethléem rappelle les vers de la neuvième églogue de Virgile, où un autre vieillard se plaint de l’âge qui affaiblit tout, jusqu’à l’esprit. Autrefois, quand il était jeune, il passait souvent des journées entières à chanter ; maintenant il a oublié ses chants : Méris a presque entièrement perdu la voix. Après s’être rappelé le vieux Méris, Jérôme se rappelle le vieux Berzellaï de Galaad, qui ne voulut rien accepter de David, à cause de son grand âge.

Jérôme demande à Augustin comment il peut lui dire qu’il n’a rien écrit contre lui, puisque une censure de ses ouvrages, qui lui est attribuée, circule d’Orient en Occident, puisque lui-même sollicite une réponse et l’invite à chanter la palinodie ! Il faut s’expliquer avec netteté et ne pas avoir l’air de combattre comme des enfants. Jérôme ne veut rien garder dans le cœur qui puisse démentir ses paroles. Après avoir passé sa jeunesse avec les saints, dans les austérités du cloître, lui conviendrait-il d’écrire quelque chose contre un évêque de sa communion, contre un évêque qu’il a commencé à aimer avant de le connaître, qui le premier lui a demandé son amitié, et qu’il s’est réjoui de voir s’élever après lui dans la science des Écritures divines ? La lettre de 397 doit donc être désavouée ou signée franchement. Jérôme ne connaît d’Augustin que les Soliloques et quelques commentaires des Psaumes ; il ne peut donc pas entreprendre de censurer les ouvrages de l’évêque d’Hippone. Dans le peu qu’il connaît, il trouverait des interprétations qui ne s’accordent pas avec les anciens commentateurs grecs. Jérôme termine par ce trait : « Ayez soin, je vous prie, toutes les fois que vous m’écrirez, de faire en sorte que je reçoive vos lettres le premier. »

Comme on voit, la correspondance de Jérôme devient vive et blessante ; des amitiés mal inspirées ont irrité sa plaie ; l’ironie et quelque chose d’amer accompagnent son langage ; les expressions affectueuses adressées à Augustin semblent n’arriver que pour faire passer des dérisions. Une certaine contradiction se montre dans la lettre de Jérôme : d’un côté, il ne veut pas répondre, parce qu’il ne pense pas que l’écrit dont il se plaint soit de l’évêque d’Hippone ; de l’autre, il se fâche contre lui, comme s’il le croyait coupable.

Le caractère d’Augustin est mis à une solennelle épreuve ; l’évêque est offensé, il ne peut se méprendre sur le langage de Jérôme ; que fera-t-il ? Il sera humble et doux. Augustin ne peut pas imaginer que Jérôme l’ait maltraité sans motif ; il reconnaît sa faute, il confesse qu’il a offensé Jérôme le premier, en écrivant une lettre qu’il ne saurait nier. Augustin le conjure, par la mansuétude du Christ, de lui pardonner s’il l’a offensé, et de ne pas lui rendre le mal pour le mal en l’offensant à son tour. C’est ce que nous trouvons dans les premières pages de sa lettre[1] au solitaire de Bethléem, écrite en 404. Ce grand homme, qui fauchait l’erreur avec tant de puissance, sollicite

  1. Lettre 73.