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histoire de saint augustin.

n’avait encore rien répondu. Enfin, cette même année (402), une lettre[1] arriva de Bethléem c’était une réponse à la précédente. Jérôme avait appris d’Augustin qu’il n’était l’auteur d’aucun ouvrage contre lui ; quant à la lettre de 397, Jérôme croyait y reconnaître le style de l’évêque d’Hippone ; dans le doute cependant, il s’abstenait d’y répondre. La longue maladie de la vénérable Paula ne lui aurait pas permis d’ailleurs de traiter ces questions. « Un discours importun, dit l’Ecclésiastique, c’est de la musique en des jours de deuil[2]. » Jérôme demande qu’Augustin l’éclaire sur l’origine de cette lettre, afin qu’il puisse y répondre. À Dieu ne plaise qu’il ose censurer quelque chose dans les ouvrages de l’évêque d’Hippone ! Il se contente de critiquer les siens sans toucher à ceux d’autrui. Le solitaire parle de la vanité puérile qui pousse à attaquer les renommées. Des avis contraires aux siens ne le blessent pas ; mais il veut qu’on regarde les deux besaces de Perse, afin que la contemplation des défauts des autres ne nous fasse pas oublier les nôtres. « Aimez-moi donc comme je vous aime, » poursuit Jérôme ; « et, jeune, ne provoquez pas un vieillard dans le champ des Écritures. J’ai eu mon temps et j’ai couru autant que j’ai pu. Aujourd’hui, pendant que vous courez et que vous franchissez les longs espaces, le repos m’est dû. Mais pour que vous ne soyez pas seul à me parler des poètes, permettez-moi de vous faire souvenir de Darès et d’Entelle, et de ce proverbe vulgaire : Le bœuf las pose un pied plus ferme. Je vous écris ceci dans une tristesse profonde ; plût à Dieu que je méritasse vos embrassements, et que nous pussions, en de mutuels entretiens, apprendre quelque chose l’un de l’autre ! » Jérôme envoie à Augustin sa réponse à une partie d’une attaque de Rufin, qui avait passé par l’Afrique. Il termine en lui demandant de ne pas l’oublier, et lui fait remarquer combien il l’aime, puisqu’il refuse de relever sa provocation jusqu’à plus ample explication de la part d’Augustin.

On a pu reconnaître dans cette lettre une certaine aigreur mêlée à une tendre bienveillance ; l’impétueux Jérôme a fait effort pour ne pas éclater, et sous des formes dont la douceur n’est que légèrement altérée, on sent bouillonner le sang du vieux Dalmate. On voit s’ouvrir une lutte entre le cœur de Jérôme, sincèrement attaché à Augustin, et l’âpreté de son naturel.

La correspondance entre l’Afrique et la Palestine n’était pas facile ; il fallait attendre des occasions toujours rares, et parmi ces rares occasions, choisir les plus sûres. On confiait les lettres à des prêtres ou à des diacres qui s’en allaient visiter les contrées où s’était accomplie la mystérieuse rédemption du genre humain.

Le départ d’un diacre d’Afrique, appelé Cyprien, détermina Augustin, en 403, à expédier à Jérôme une nouvelle copie des deux lettres de 395 et de 397 ; l’évêque d’Hippone priait Dieu[3] de tourner le cœur du solitaire en sa faveur, afin que celui-ci ne le jugeât pas indigne d’une réponse. Il parlait à Jérôme de sa traduction de Job sur l’hébreu, et de nouveau exprimait le désir que l’illustre vieillard s’occupât d’une version de l’Ancien Testament, sur les Septante plutôt que sur l’hébreu. Le motif de ces désirs était une pensée de paix et d’unité pour les catholiques ; l’admission dans plusieurs Églises d’une traduction nouvelle sur l’hébreu introduirait deux textes différents parmi les mêmes fidèles ; les Églises latines auraient un texte qui ne s’accorderait pas quelquefois avec celui des Églises grecques. De plus, dans la controverse, il était plus aisé de produire le texte de l’Écriture dans une langue connue comme le grec, que de le produire dans l’hébreu. Et les juifs, à quelles chicanes n’auraient-ils pas recours pour contredire la version de Jérôme sur les points qui ne leur conviendraient pas ! Augustin racontait à ce sujet un trait qui montre toute la pieuse susceptibilité des chrétiens de cette époque pour le texte des livres saints. Un évêque d’Afrique faisait lire dans son église la version du livre de Jonas, faite par Jérôme sur l’hébreu ; or, il se rencontra un passage où Jérôme avait traduit autrement qu’on ne se souvenait d’avoir vu et d’avoir entendu lire de tout temps. On soupçonna une falsification, les Grecs surtout se plaignaient. Cela fit un si grand bruit parmi le peuple, que l’évêque fut contraint de consulter les juifs de la ville. Ceux-ci, par malice ou par ignorance, répondirent que les textes hébreux étaient parfaitement conformes aux textes grecs et latins. L’évêque, menacé de se voir abandonné de tout son peuple, fut obligé de rayer et de corriger comme une faute de copiste le mot qui avait soulevé cette tempête.

  1. Lettre 68.
  2. XXII, 6.
  3. Lettre 71.