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chapitre dix-huitième.

lent : une fois jeté dans la communion des donatistes, il attaqua les catholiques, en mêlant à ses paroles toute la violence de son caractère. Les prêtres et les fidèles de Constantine avaient prié Augustin de répondre sans retard à la lettre de Pétilien, dont ils lui présentaient une partie seulement ; l’évêque d’Hippone accueillit leur prière. Il écrivit sa réponse en forme de lettre pastorale, adressée aux frères bien-aimés confiés ci sa garde ; en finissant, il leur disait ces mots, qu’il ne faudrait oublier en aucun temps dans les luttes philosophiques ou religieuses : « Mes frères, retenez toutes ces choses pour les pratiquer et les enseigner avec une active douceur. Aimez les hommes, tuez les erreurs. Présumez de la vérité sans orgueil, combattez pour la vérité sans violente. Priez pour ceux que vous reprenez et que vous persuadez. » Cette première lettre d’Augustin compose la première partie de son ouvrage contre Pétilien. L’ouvrage a trois livres ; le deuxième livre, écrit en 402, est une réfutation de la lettre de l’évêque donatiste, en forme de dialogue entre Augustin et Pétilien, dans la bouche de qui se retrouvent les paroles de sa lettre. À la fin de ce deuxième livre, qui est étendu et d’une vive logique, Augustin désigne sous le nom de Montagnards (Montenses) certains donatistes de Rome ; d’après la chronique de saint Jérôme, on les appelait ainsi parce que leur église était sur une montagne ; d’après saint Optat, parce que le lieu de leurs assemblées, situé hors de Rome, était une caverne fort élevée, à laquelle on montait par des degrés. Dans une de ses lettres[1], Augustin donne aussi aux donatistes de Rome le nom de Cutzupites ; nous ignorons la signification de ce mot.

L’évêque d’Hippone pouvait dire comme le psalmiste : « J’étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix. » Un grand amour de concorde et d’unité religieuse animait sa polémique ; il défendait la vérité catholique avec une constante mansuétude, mais ses adversaires donatistes ne l’imitaient pas. Des flots d’injures contre Augustin s’échappèrent de la bouche de Pétilien. Le grand docteur répondit à ces outrages : sa lettre, adressée à Pétilien lui-même, forme son troisième livre contre l’évêque donatiste. Augustin ne se met pas en peine de se défendre, et se borne à faire observer à Pétilien qu’il n’a rien dit de sa cause, et qu’il n’a pu repousser aucune des réponses catholiques. « Si je lui rendais injure pour injure, dit Augustin, nous serions coupables tous les deux. Quand je dispute en paroles ou par écrit, dit-il encore dans un autre endroit, je ne cherche pas à l’emporter sur un homme, mais à dissiper une erreur. » Le grand évêque montre en quelques pages rapides la fausse situation des donatistes. Le champ où le chrétien doit semer, c’est le monde et non pas l’Afrique seulement ; ce n’est point au temps de Donat, mais à la fin des siècles, que doit se faire la moisson. Combien Augustin est admirable lorsque, s’adressant aux catholiques, ses frères bien-aimés, il leur répète qu’il s’inquiète peu des injures ! Chien vigilant de son cher troupeau d’Hippone, il aboiera toujours bien plus pour la défense de ses brebis que pour la sienne propre. Pétilien s’était armé, contre le saint évêque, du souvenir dès fautes et des erreurs de sa jeunesse ; mais Augustin n’avait-il pas suffisamment détesté toute l’époque de sa vie antérieure à son baptême, et n’avait-il pas loué Dieu, son libérateur ? Les Confessions, qui avaient été lues par tant de monde, n’auraient-elles pu apprendre à Pétilien le repentir et les sentiments nouveaux de saint Augustin ?

« Lorsque j’entends blâmer cette partie de ma vie, dit Augustin, quel que soit le sentiment qui inspire ce blâme, je ne suis pas assez ingrat pour m’en plaindre. Plus on attaque mes fautes passées, plus je loue le médecin qui m’a guéri. Pourquoi travaillerais-je à me défendre sur mes égarements anciens et pardonnés, sur ce passé dont Pétilien a dit beaucoup de choses fausses, mais dont il n’a pas dit beaucoup de choses qui sont trop vraies ? Ma vie, depuis mon baptême, vous la connaissez tous ; il serait superflu d’en parler. Ceux qui ne me connaissent pas ne doivent pas pousser l’injustice à mon égard jusqu’au point de mieux aimer croire Pétilien que vous-mêmes. Car s’il ne faut pas croire les louanges d’un ami, il ne faut pas croire non plus les injures d’un ennemi. Restent les choses inconnues aux hommes, les choses dont la conscience seule est témoin, et dont les hommes ne peuvent juger. Pétilien, parlant de la conscience d’un autre, soutient qu’au fond je suis manichéen ; et moi, parlant de ma propre conscience, je dis que cela n’est pas. Choisissez

  1. Lettre 53 à Générosus, 400. Il est question aussi des cutzupites ou cutzupitains (cutzupitanis) dans le livre de l’Unité de l’Église.