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Stéphane.

Je saurai secouer ce triste souvenir.
Qu’importe le passé lorsque j’ai l’avenir ?

Julien.

Il n’est pas de bonheur hors des routes communes :
Qui vit à travers champs ne trouve qu’infortunes.
Oubliez l’avenir tout comme le passé ;
L’avenir est perdu pour vous, pauvre insensé !

Stéphane.

Tant mieux donc ! L’avenir dont le monde nous flatte
A la tranquillité d’une eau dormante et plate.
Mieux vaut la pleine mer avec ses ouragans,
Ses superbes fureurs, ses flots extravagants
Qui vous font retomber du ciel jusqu’aux abîmes
Pour vous lancer du gouffre à des hauteurs sublimes !
Les bonheurs négatifs sont faits pour les poltrons :
Nous serons malheureux… mais du moins nous vivrons.

Julien.

Voilà certe une belle et vive poésie.
J’en sais une pourtant plus saine et mieux choisie,
Dont plus solidement un cœur d’homme est rempli :
C’est le contentement du devoir accompli,
C’est le travail aride et la nuit studieuse,
Tandis que la maison s’endort silencieuse,
Et que pour rafraîchir son labeur échauffant,
On a tout près de soi le sommeil d’un enfant.
Laissons aux cerveaux creux ou bien aux égoïstes
Ces désordres au fond si vides et si tristes,
Ces amours sans lien et dont l’impiété
À l’égal d’un malheur craint la fécondité.
Mais, nous autres, soyons des pères — c’est-à-dire,
Mettons dans nos maisons, comme un chaste sourire,