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Se sont changés les doux entretiens d’autrefois !
Plus de projets à deux, de mutuelle extase !
Sa vie est un damier dont j’occupe une case,
Rien de plus. Je complète un état de maison
Et lui sers seulement à n’être plus garçon.
Est-ce là que devaient aboutir ses promesses
De transports éternels et de saintes tendresses,
Lorsque nous bâtissions un riant avenir
Dont je suis maintenant seule à me souvenir !

Adrienne.

N’accuse pas Julien, n’accuse que la vie
De ton illusion si promptement ravie !
Va, c’est notre malheur à toutes d’ignorer
Que de son rêve d’or nul ne peut s’emparer ;
Nous n’épuiserions pas en de vaines poursuites
L’humble part de bonheur où nous sommes réduites,
Si quelque expérience eût su nous prévenir
Que l’amour nous promet plus qu’il ne peut tenir.
Mais nous croyons en lui ; notre foi nous abuse.
C’est lui qui nous trahit, c’est l’amant qu’on accuse.
On en change, espérant qu’un autre accomplira
L’idéal adoré dont le cœur s’enivra,
Et l’amour, dont on presse encore le mystère,
Nous laisse de nouveau la main pleine de terre.
On reconnaît alors, on reconnaît trop tard,
Qu’on était arrivée au but dès le départ.

Gabrielle.

Adrienne, n’as-tu que ces tristes paroles
Pour soutenir les cœurs souffrants que tu consoles ?
L’amitié de Julien, quoi ! tout l’amour est là ?
Quoi ! je ne peux plus rien rencontrer au delà
Et dois désespérer sur ce premier déboire ?
Non ! je ne te crois pas, je ne veux pas te croire !