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Il a l’âme logée en trop paisible assiette
Pour qu’un brimborion comme moi l’inquiète.
Pourvu que son métier lui rende de l’argent,
Il a pour tout le reste un dédain indulgent,
Et ne s’informe pas si je me trouve heureuse,
Ni, quand j’ai les yeux creux, quel ennui me les creuse.

Adrienne.

Quel ennui ?… Pauvre femme, as-tu donc des ennuis ?

Gabrielle.

J’en ai… Si tu savais dans quel vide je suis,
Dans quel désœuvrement et quelle solitude !
Tout me manque à la fois, tout, jusqu’à l’habitude,
Ce triste bonheur fait de paresse et d’oubli
Où j’ai cru quelque temps mon cœur enseveli.
Ah ! pourquoi sommes-nous venus à la campagne ?
C’est le réveil des cieux et des champs qui me gagne ;
C’est le tiède printemps, c’est la verte saison
Qui m’ont mis cette sève au cœur, — ou ce poison !
Je sens dans ma poitrine une fureur de vivre,
Une rébellion qui m’effraie et m’enivre ;
Je voudrais… je ne sais, hélas ! ce que je veux ;
Mais rien de ce que j’ai ne satisfait mes vœux.
Le détail journalier de ma maison m’écœure ;
La lecture ne peut me distraire : je pleure,
Et j’éprouve un dégoût dont rien ne me défend,
Pas même — et j’en rougis — pas même mon enfant !

Adrienne.

C’est que tu n’aimes plus ton mari.

Gabrielle.

C’est que tu n’aimes plus ton mari.Moi, ma tante !