Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ces épouvantables déserts de pins, je rencontrai une tortue. Je la couvris d’un regard délirant. Si je l’avais suivie, je savais bien qu’elle m’aurait conduit à quelque source ; mais la faim et la soif criaient trop haut ; il fallut les assouvir l’une et l’autre avec sa chair et son sang. D’un seul coup de ma hache l’animal fut coupé en deux, et, en quelques minutes, englouti tout entier, moins l’écaille. Oh ! monsieur, comme je remerciai le bon Dieu, qui avait placé cette tortue dans mon chemin. Je me sentais grandement réconforté, et m’étant assis au pied d’un pin, je levai mes yeux au ciel, pensai à ma pauvre femme, à mes enfants, et encore, encore remerciai Dieu, qui m’avait sauvé la vie ; car maintenant, l’esprit moins agité, j’avais l’espoir de retrouver bientôt ma route et de revoir ma cabane. »

L’infortuné passa la nuit au pied du même arbre, qu’il n’avait pas quitté, et sous lequel il avait fait son repas. Rafraîchi par un profond sommeil, il se réveilla avec l’aurore pour reprendre sa course désordonnée. Le soleil se leva brillant, et il suivit la direction de l’ombre. Mais toujours même solitude, même horreur parmi les bois ; et il était sur le point de retomber dans le désespoir, lorsqu’il aperçut un raton tapi dans l’herbe. Il lève sa hache et la lance avec une telle force, que l’animal inoffensif expire du coup et sans un seul mouvement. Ce qu’il avait fait de la tortue, il le fit du raton dont il dévora, sur place plus de la moitié. Alors, de nouveau réconforté, il se remit à courir. — Sa journée, je ne puis dire ce qu’elle fut ; car bien qu’en possession de toutes ses facultés et en plein jour, il