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et Valère qui n’avait encore que seize ans a dû abandonner ses études pour gagner sa vie. Depuis il a tenu pas mal d’emplois contre son goût, et maintenant il est premier commis dans mon magasin de chaussures où il doit se plaire, puisqu’il y était déjà lors de mon arrivée.

Et Firmin, après avoir repris haleine, se dépêche d’ajouter :

— Je l’aime comme un frère, et quand tu le connaîtras tu l’aimeras aussi.

Manine à son grand regret ne partagera pas nos réjouissances. Elle a pris goût à élever des nourrissons. Après le premier un autre a suivi, et voici qu’elle vient d’en prendre un troisième. Il ne lui sera pas possible d’abandonner sa maison, même pour une heure. Elle m’a dit en riant :

— Je chanterai des berceuses pendant que vous boirez le bon vin.

Les berceuses qu’elle chante sont vieillottes et douces, et font se moquer Clémence qui sait de jolies berceuses à la mode. Moi-même, malgré mon goût pour les vieux airs, je trouve parfois Manine agaçante, surtout lorsqu’elle supprime les mots et ne laisse passer qu’un son nasillard entre ses lèvres, mais lorsqu’elle berce en chantant la très vieille chanson de Marthe et Marie, je l’écoute toujours avec le même plaisir. J’ai beau savoir qu’à la fin, Jésus triomphera, j’attends toujours de Magdeleine le refus de venir à lui quand il envoie Marthe à sa recherche :

Allez Marthe
Allez-y
Et dites-lui…