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douce pluie qui venait d’amollir mon cœur se mit à couler goutte à goutte sur mes joues.

Oncle meunier parla de nouveau :

— Ne te laisse pas abattre par les difficultés, et surtout ne chasse pas l’amour de ton cœur. Avec de l’amour et du courage, on peut beaucoup.

Il m’avait fait asseoir auprès de lui sur l’un des brancards de la vieille voiture, et selon son habitude il lissait doucement mes cheveux.

Autour de nous, à cette heure de midi, les canards et les poules cherchaient l’ombre. Oncle meunier attira mon attention sur la grosse poule blanche à tête jaune :

— Tu la vois ? Eh bien ! si après quelques jours de couvée, elle avait abandonné son nid trop difficile, tous ses œufs étaient perdus, tandis que…

Et d’un geste large, il désignait les vingt-trois poussins, bien emplumés, hauts sur pattes, et presque aussi gros que leur mère, juchée à quelque distance comme pour les surveiller encore.

Oui, je la voyais la brave couveuse. Elle était là, belle, forte, redressant sa tête magnifique, et tournant vers nous un petit œil noir tout brillant d’intelligence. Je me la représentais égarée dans la campagne, menacée de mort par les hommes, traquée par les chiens, battue par ses pareilles et faisant son nid aussi haut que possible afin de le mettre à l’abri des bêtes et des gens. Comment avait-elle pu sans aide amener à bien une si nombreuse couvée ? Où avait-elle pris la force de s’élancer chaque jour sur cette meule presque aussi haute qu’une maison ?

Pour les couveuses de tante Rude on bourrait