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Il y avait des matins où il me fallait le répéter bien des fois avant d’obéir.

Les travaux qui vinrent ensuite me furent moins pénibles. La batteuse même, sur laquelle je dus rester de longues heures à délier les gerbes ne me fit pas penser à la révolte quoiqu’elle m’eût étourdie et rendue sourde pour plusieurs jours. Et puis pour me payer de ma peine, j’avais les jumeaux ; tous deux se disputaient mes caresses et les leurs m’étaient aussi douces que le repos. J’avais encore la petite Reine que j’aimais presque à l’égal des jumeaux depuis la nuit où nous avions souffert et pleuré ensemble. C’était maintenant une petite fille aux cheveux fins et aux yeux plein d’intelligence. Je la prenais sur mes genoux, et je chantais pour l’amuser. Elle m’écoutait sans que son regard se détachât du mien, remuant les doigts devant ma bouche comme pour saisir les mots ou les sons ; ou encore, elle mettait à hauteur de mon visage l’envers d’un de ses pieds, me montrant un talon soyeux et des orteils frais et roses et tout semblables à de petits fruits mûrissants.

Et surtout, j’avais Firmin. Sa gaîté, son insouciance, éloignaient toute idée de fatigue ou de tristesse.

La moisson était pour lui un jeu très amusant. Avec une faux, faite d’un bâton ou d’une plaque de tôle, il fauchait les cailloux et les mottes de terre de la cour, entraînant derrière lui Clémence et Nicole et leur disant fièrement :

— Faites comme Annette, suivez l’homme à la faux.

Actif ou au repos, il n’était jamais à court