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faire en sorte que les petits n’aient pas trop à souffrir de la misère qui nous guette. »

La moisson m’apporta une fatigue à laquelle j’étais loin de m’attendre. À être restée si longtemps immobile, mon corps avait perdu toute souplesse et il m’était difficile de rester courbée derrière le faucheur, pour mettre en javelles le blé qu’il fauchait par trois sillons à la fois. Incapable d’aller vite je me laissais distancer et le faucheur suivant me criait :

— Avance, avance, Annette, ou je vais te couper les jambes.

Et, à tout instant, sa faux sifflait à mes talons.

Arrivée au bout du champ de blé, au lieu de me redresser je m’aplatissais de tout mon long sur la terre chaude, et, le visage caché, prête à pleurer sous les moqueries des autres moissonneuses, rebutée par ce travail trop dur pour mes forces, je décidais de l’abandonner sur l’heure et de rester ainsi étendue jusqu’au soir. Puis l’instant de repos écoulé, entendant les hommes passer la pierre à aiguiser sur leur faux, je me levais d’un bond et reprenait ma place pour ramasser les épis, et coucher bien en rang les javelles du nouveau sillon.

Manine, pleine de pitié, ne me laissait rien faire chez nous et m’obligeait à me mettre au lit en rentrant ; mais j’étais trop lasse pour dormir, et je passais mes nuits à m’agiter en appelant le sommeil.

Au jour levant, pour m’exhorter au courage, je me tapotais les joues en disant comme autrefois grand’mère :

— Allons, Annette, lève-toi ma fille.