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rents l’ont tellement gâtée ! Et ce n’est pas sa faute si elle ne comprend rien aux enfants. »

Je ne réponds pas à oncle meunier. Je crains de lui dire que si on a été trop bon pour tante Rude, en retour elle n’est guère douce aux autres.


Les récoltes rentrées et la vendange faite, Manine dut se résigner à prendre un nourrisson de Paris. Les parents — de gros commerçants — offraient un bon prix, à la condition que l’enfant soit nourri au sein.

Il lui fallait bien gagner de quoi élever ses deux filles. La résignation lui fut pénible. Reine n’ayant pas six mois encore ne pouvait pas être sevrée. Il faudrait lui donner le biberon tandis que le petit étranger prendrait sa place. Et Manine qui doit rester deux jours absente vient de partir, tremblante et affreusement tourmentée, quoique tante Rude lui eût assuré qu’elle saurait bien faire accepter le biberon à la petite Reine.

Ainsi que je m’y attendais, à l’heure de la tétée, tante Rude m’a laissé le soin de tenir sa promesse à Manine. Je ne voulus pas attendre le réveil complet de la mignonne pour approcher le biberon de sa bouche. Elle le prit sans méfiance, mais à peine l’eût-elle pressé qu’elle le repoussa et renvoya en pluie toute la gorgée de lait. Il y eut dans ses yeux subitement ouverts un étonnement indigné, et aussitôt elle se mit à crier comme jamais elle ne l’avait fait encore.

Tout le jour elle cria et repoussa de ses petites mains l’horrible chose qu’on voulait l’obliger à mettre dans sa bouche. Lasse et ennuyée,