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qu’elle aperçoit la mère et l’enfant, elle pousse ma voiture sous le gros noyer qui ombrage une partie de la maison et elle apporte pour Mme Lapierre sa plus belle chaise de paille.

Oncle meunier fait bon visage à la jeune femme, mais tante Rude me demande souvent :

— Qu’est-ce qu’elle peut bien te raconter pendant toute une après-midi ?

Je serais bien en peine de le dire ; nous n’avons pas de conversations suivies. C’est, entre nous, la plupart du temps des propos se rapportant à Paris que nous regrettons toutes deux. C’est, pour elle, des projets touchant l’avenir de son enfant, et, pour moi, l’espoir de voir arriver aux prochaines vacances, les petits avec nos parents réconciliés à jamais. C’est encore la lecture si intéressante des lettres de Firmin me tenant au courant de ce qui se passe chez nous, et des faits amusants qui arrivent journellement à l’école. Tout cela coupé de silences qui nous permettent de nous réjouir du babillage de Clémence et du petit Jean, du gazouillis infiniment léger de la petite Reine, du chant des oiseaux dans les branches du noyer, et enfin, des bruits de toutes sortes que font dans la campagne les hommes et les bêtes.

Et puis, pour occuper nos silences, il y a aussi le coteau d’en face. Sur ce coteau il y a les blés et les avoines se couchant et se redressant sous la brise, et tout semblables à de merveilleux tapis dorés. Il y a les chemins qu’on ne voit pas mais dont on devine le tracé capricieux au passage des charrettes. Il y a encore les troupeaux si paisibles et si lents à se mouvoir, qu’on peut croire que