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Ce mariage va se faire sans fête ni robe blanche, et Firmin ne pourra y assister.

Mme Lapierre, toujours assise sur sa chaise à haut dossier, se réjouit du bonheur de son fils et s’épouvante de la menace de son prochain départ.


L’hiver touche à sa fin et la guerre s’est installée chez nous comme si elle comptait y demeurer toujours. Rappelée d’urgence à la buanderie où je faisais faute au linge des blessés, oncle meunier m’a vue repartir avec un réel dépit. Je ne l’ai pas quitté avec moins de regret ayant retrouvé pendant quelques semaines auprès de lui toute la confiante intimité d’autrefois. Dans nos conversations affectueuses, il me parlait souvent de Valère, qu’il jugeait être une victime autant que moi-même. Il m’encourageait à ne pas chasser délibérément son souvenir. Il disait : « À garder de la cendre chaude au foyer, il faut peu de choses pour allumer le feu. »

Pour l’instant, dans ce tourbillon de misère et de crainte, Valère Chatellier ne tient pas plus de place dans mon souvenir que certains visages désolés aperçus au hasard d’une rencontre et s’imposant à moi sans raison.

Rose m’a suivie à Paris avec l’espoir d’aller faire ses couches dans sa jolie maison ; mais c’est dans ma propre chambre qu’elle a mis au monde son petit Raymond.

Manine et ses filles ne sont pas restées au moulin non plus. L’ouvrage n’y manquait pas pour elles cependant. Mais, lorsque les régiments eurent cessé de passer sur la route, Clémence fut prise