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Il me tourne le dos et continue à ricaner.

Une lassitude me fait désirer ardemment la fin de cette scène. Je voudrais être loin, très loin d’ici, et je m’entends dire d’une voix résignée :

— Ton bonheur est parti, Annette, il va falloir s’en aller aussi.

Valère se retourne, et s’approche de moi avec un visage plein de colère. Il s’approche si près que j’étends les mains comme une barrière devant ma grossesse tandis qu’il crie à m’étourdir :

— Tu es libre Annette Beaubois. C’est toi qui n’a pas voulu du mariage, et je ne prétends pas te retenir ici contre ton gré.

Les mains toujours en avant, je ressens plusieurs chocs contre la cloison de ma chair, et c’est comme si mon petit me demandait de ne pas le séparer de son père. Ces chocs m’apportent un malaise qui me fait fléchir et chercher un point d’appui. Mais dans le même instant, parce que Valère se hâte de mettre son pardessus et son chapeau pour sortir, une colère inattendue gronde en moi.

C’est lui qui va s’en aller d’ici pour n’y plus revenir peut-être ? Cette idée m’est insupportable. Je ne veux pas qu’il parte ainsi. Il faut qu’il sache la vérité malgré lui. Aussi, à peine a-t-il passé la porte qu’une force me lance à sa suite. Je le saisis par le bras, le ramène dans la maison, et m’adosse à la porte fermée.

Ma colère est sans éclat ; elle fait seulement trembler ma voix de façon exagérée lorsque je dis :

— Tu n’es pas ivre Valère, regarde-moi en face et tu verras que je ne mérite ni ton mépris ni tes injures.