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mère ce bien si précieux, nous étions restés longtemps dans la ruelle, glacés par le froid, et serrés l’un contre l’autre comme deux coupables.

Aujourd’hui, il fallait chasser pour toujours ces vilains souvenirs. « À présent, chez nous, c’est comme autrefois. » Et je revoyais le mince visage de mon frère, tout épanoui de joie et de confiance en l’avenir.

Firmin n’avait qu’un an de moins que moi, mais il était si petit et si faible qu’on l’eût dit beaucoup plus jeune. Nous nous aimions profondément, et pour mon compte, j’aurais pu jurer que, de toute ma famille, c’était lui qui m’était le plus cher.

Le travail des veillées nous rapprochait encore. Firmin m’apprenait le soir ce qu’on lui avait enseigné pendant le jour, à l’école. Je retenais les leçons plus facilement que lui, et il m’arrivait d’être à mon tour son professeur. Je lui faisais surtout réciter ses fables qu’il ne parvenait pas à retenir malgré toute sa bonne volonté. Il lui fallait plus d’une semaine pour en apprendre une. Et encore ! Cela ne l’empêchait pas d’être persuadé qu’il la savait dès sa première lecture.

Notre père s’en mêlait, parfois :

— Voyons Firmin, et cette fable du laboureur ?

— Je la sais, papa.

— Tout entière ?

— Oui, papa.

— Alors, récite-nous la.

Tout le monde faisait silence, et Firmin prenait de l’espace. Il se dandinait, sûr de lui, et lançait