Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Dès sa première visite Firmin tout joyeux s’était attardé auprès de mon lit, pour me dire :

— À présent, chez nous, c’est comme autrefois.

Firmin était certainement celui de nous qui avait le plus souffert de la désunion de nos parents. Il les aimait l’un et l’autre d’un amour infini, et leurs disputes l’avaient souvent affecté au point de le rendre malade. Que de fois, le soir, tout grelottant de fièvre dans son lit, je l’avais vu se torturer l’esprit pour essayer de découvrir le motif de la désunion avec l’espoir d’y apporter remède.

Une nuit, enfin, nous avions appris de quoi il s’agissait. Notre mère croyant tous ses enfants endormis pleurait sans contrainte dans la chambre voisine. Elle ne faisait pas de violents reproches comme d’habitude. Elle répétait seulement à travers ses pleurs :

— Pourquoi m’as-tu repris ton amour ?

Ses sanglots étaient si pressés et si déchirants que nous retenions notre souffle pour ne pas nous mettre à crier comme elle.

Notre père, pris de pitié sans doute, avait dit des mots consolants, et peu à peu le silence était revenu. Mais Firmin et moi n’avions nulle envie de dormir. Assis par terre, dans la ruelle étroite qui séparait nos deux lits, silencieux et remplis d’étonnement, nous réfléchissions aux paroles de douleur et de reproche. « Pourquoi m’as-tu repris ton amour ? » L’amour ! C’était donc une chose si nécessaire à la vie, que sa perte pouvait amener un pareil désespoir. Et le cœur tout gonflé de regret, en pensant que nous ne pouvions rendre à notre