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encore plus d’émotions que lui de la tendresse de ses amis et de l’admiration publique et il excitait ce sentiment spontané, unanime, des assistants qui, au lieu de se lever comme chez les anciens pour honorer l’objet de leur culte poétique, attendirent dans une immobilité silencieuse que le Virgile, le Milton français, le prêtre des Muses eût quitté le sanctuaire et le parvis du temple ».

Il présida notamment, le 9 avril 1812, la séance publique annuelle. « Au moment où il parut au fauteuil pour ouvrir la séance, dit le Moniteur, il a été accueilli par les plus vifs applaudissements. » Cette séance où fut couronné Villemain, professeur de rhétorique au lycée Charlemagne, pour son éloge de Montaigne, il lut deux morceaux, l’un en réponse à l’opinion de Montaigne, l’autre en réfutation de Lucrèce, sur la mort ; lectures fort applaudies. On se fait difficilement une idée de son énorme popularité. Son apparition suscitait une émotion générale et s’il récitait quelques vers, c’était du délire : « les louanges et l’enthousiasme n’avaient plus de mesure ». Des milliers de spectateurs le reconduisaient à sa demeure.

Un jour, il lut à l’académie une pièce : Mon testament, qui fit couler les pleurs de tout le monde : « Quels transports l’accueillirent en ce jour, disait son successeur à l’académie, quel mélange de tendresse et d’égards dans les exclamations qui s’élevaient autour de lui ! » Delille n’avait plus rien à souhaiter du côté de la gloire. Vieillard universellement respecté, poète indiscuté, aimé, vanté, exalté, il n’avait qu’à jouir tranquillement de cette douce existence. Mais il avait 75 ans. Une cinquième attaque de paralysie l’emporta le 1er mai 1813. Il mourait à temps, ayant eu le bonheur de ne pas survivre à sa gloire, et la fortune de ne pas assister à la réaction romantique inévitable. En entendant traiter le divin Racine de perruque, Boileau de polisson et appeler la tragédie des bottes éculées, il eût certainement regretté le temps où ses disciples souhaitaient :


Que dans ces jours consacrés au repos,
L’hôte laborieux des modestes hameaux,