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se lever et plus si possible. Parfois elle le mettait sous clef jusqu’à ce qu’il eût fini sa tâche : « Allons, monsieur Delille, il faut battre monnaie. — Oui, ma chère, répliquait le mari débonnaire ; mais quand on frappe trop souvent cette monnaie, elle passe pour fausse. »

Il y avait un soir une lecture de Chateaubriand on s’aperçoit que Delille n’est pas là. Après quelque temps d’attente, Malouet et Lally-Tollendal vont le chercher ; il demeurait dans le voisinage. Ils le trouvent au lit. « Au lit mon ami, êtes-vous malade ? — Non pas » ; et il jetait des regards significatifs sur la nièce adoptive. Celle-ci avait l’habitude de ne lui rendre sa culotte que la tâche accomplie. Delille, en véritable enfant, quoique travailleur, avait des moments de paresse ; il était en retard. Malouet pourtant obtint sa grâce ; elle apporta le petit vêtement, il put se lever. Montlosier, qui raconte le fait, ne dit pas si le lendemain il dut comme pensum faire 60 vers.

Tant que sa femme avait été sa nièce, elle le ménagea ; mariés, elle le mena durement. Une fois elle lui lança à la tête un gros volume in-quarto. Delille le ramassa et, très doucement « Madame, dit-il, ne pourriez-vous vous contenter d’un in-octavo ? Chateaubriand, qui avait fréquenté le ménage en Angleterre, dit dans ses Mémoires[1] : — « Delille besognait beaucoup, il le fallait bien car Mme Delille l’enfermait et ne lâchait que quand il avait gagné sa journée par un certain nombre de vers. Un jour j’étais allé chez lui, il se fit attendre puis il parut, les joues fort rouges. On prétend que Mme Delille le souffletait ; — je n’en sais rien, je dis seulement ce que j’ai vu ». Mais Berryer, qui avait vu beaucoup le poète dans son intérieur, la défendait contre les méchancetés de la chronique : femme vulgaire, d’une franchise brusque, mais cœur excellent, très dévoué à son mari. M. Charles de Lacombe, racontant les Premières années de Berryer (1790-1816)[2] rapporte ce joli trait sur l’intimité de Delille et de Michaud qui étaient inséparables et se querellaient fort souvent : « Un jour, la discussion porta sur Virgile. Michaud affirmait que,

  1. Mémoire d’outre-tombe, II, 131 (édit. de 1860.)
  2. Correspondant du 25 janvier 1866.