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calomnieuses où la plus légère épigramme était souvent une flèche barbelée qui faisait saigner la chair. Chaque parti cherchait des adhérents. D’Alembert, dès le mois de décembre 1770, écrivait à Voltaire : « Je ne vois qu’un moyen de nous sauver d’un mauvais choix, c’est de prendre l’abbé Delille, le traducteur des Géorgiques, et Sicard, le plus paresseux des gens de lettres. » Il s’agissait de remplacer Jérôme Bignon et Duclos. Delille fut élu à la presque unanimité. Sicard n’eut que 14 voix sur 27 ; mais le roi, sous l’influence du duc de Richelieu, ne confirma pas ces choix, sous prétexte que ces deux élections avaient été faites le même jour, contrairement aux statuts ; les candidats n’étaient pas agréables : l’un avait des fonctions incompatibles avec la nouvelle place et le second avait été renvoyé de la Gazette. On chercha et on élut, le 23 mai 1772, Bréquigny et Bauzée. L’académie n’était plus qu’une coterie soumise à d’Alembert et dont Mlle  de Lespinasse était l’Égérie. Mais faire de Delille un sectaire « était, a dit l’académicien Roger, classer le rossignol parmi les oiseaux de proie ». Louis XVI capitula… déjà. Par l’entremise du duc de Nivernais, il fit dire qu’il ne s’opposerait pas à l’élection de Delille et de Sicard. On raconte que le roi, sollicité pour Delille, à qui on opposait son jeune âge — il avait 32 ans — répondit : « Il a si bien traduit Virgile qu’il me fait l’effet d’être de l’ancienne Rome ; il a 2000 ans, à mon avis. » Il fut élu en avril 1774 et Sicard, l’année suivante. Delille fut reçu le 11 juillet, par l’abbé de Radonvilliers, sous-précepteur des enfants de France ; il succédait à La Condamine, le savant voyageur. Son discours, éloge du défunt, eut un succès considérable.

À son tour, il reçut à l’académie (25 janvier 1781) le comte de Tressan et, le 19 juillet suivant, Lemierre qui avait fait le fameux vers :


Le trident de Neptune est le sceptre du monde.


« Le vers du siècle », disait modestement l’auteur. — « Oui, vers solitaire », s’empressait d’ajouter Rivarol.

Un honneur n’arrive jamais seul. La Harpe — on lui doit cette